25 avril 2012 : Les plantes, un monde astucieux et rusé

Les plantes, un monde astucieux et rusé

 Conférence du 25 avril 2012

Au cours de la longue histoire de la terre (4,5 milliards d'années), les premières traces fossiles de la vie apparaissent il y a environ 1,7 milliard d'années. Aux premières molécules carbonées autoreproductibles ont succédé des organismes simples évoluant en milieu aquatique dont la colonisation de plus en plus importante a été suivie de celle des milieux terrestres. Les végétaux n'ont pas échappé à ce schéma évolutif qui a nécessité la mise en œuvre, à chaque étape, de nouveautés anatomiques et physiologiques astucieuses ou  rusées toujours étonnantes, parfois spectaculaires.

En limitant le propos aux végétaux chlorophylliens, on sait que ce sont les algues marines ou dulcicoles qui sont à la base d'une évolution continue aboutissant à la mise en place de la phytosphère actuelle. Ces algues ont trouvé et trouvent encore, rassemblées dans l'eau qui les entoure, toutes les conditions matérielles (eau, CO2, O2), sels minéraux) et énergétiques (chaleur, lumière) indispensables à leur développement. Le passage vers les milieux terrestres a posé un problème très important car CO2, O2, chaleur et surtout lumière sont cantonnés dans leur composante atmosphérique, tandis que l'eau et les sels minéraux sont, sauf exceptions (Tillandsia, etc.)  localisés dans les substrats. Un grand écart est nécessaire pour exploiter des ressources désormais séparées.

Plusieurs modalités de sortie d'eau sont observées. Citons quelques exemples :

·   du niveau de la mer jusqu'aux neiges éternelles,

des forêts humides aux déserts, sur des supports très variés - rochers, troncs d'arbres, etc. - existent des lichens.

Une coupe transversale du thalle de l'un d'eux montre que de tels organismes correspondent à l'association de filaments d'un champignon avec des algues. Les premiers assurent une protection mécanique et microclimatique aux seconds qui trouvent, au sein de la microstructure, un milieu humide rappelant les conditions des milieux aquatiques primitifs!

 

C'est une énorme astuce  rappelant celle du Cheval de Troie! Grâce à elle, les algues réputées aquatiques ont prospéré et vivent dans la plupart des milieux terrestres y compris les plus sec chez les hépatiques, bryophytes archaïques voisines des mousses, le passage de la vie aquatique à la vie terrestre se fait sans association entre organismes. L'hépatique de (Marchantia polymorpha) vit dans les milieux humides proches des cours d'eau. Un épiderme avec cuticule peu épaisse la protège de la dessiccation, mais cette couche est interrompue par des puits aérifères permettant des échanges gazeux indispensables à la photosynthèse réalisée dans des cellules renfermant des chloroplastes localisés à la partie supérieure du thalle. Celui-ci est appliqué et fixé au support par des filaments appelés rhizoïdes. Les sels minéraux sont acheminés, par diffusion de cellule à cellule, vers les cellules chlorophylliennes assimilatrices. D'autres cellules accumulent des réserves. Cette structure diversifiée et polarisée est archaïque mais elle permet d'exploiter, par la face supérieure, les ressources atmosphériques et, par la face inférieure, celles du substrat. L'astuce assure, en milieu aérien, la pérennité de ces végétaux, mais ils restent rares et limités à des habitats humides.

== chez les mousses, bryophytes plus évoluées, un épiderme avec cuticule plus épaisse est interrompu par des structures cellulaires assurant les échanges gazeux avec l'atmosphère : ce sont des stomates qui, contrairement aux puits aérifères des hépatiques, toujours ouverts, ne s'ouvrent qu'en cas de nécessité nutritionnelle et se ferment lorsque les conditions atmosphériques sont défavorables. Beaucoup de mousses sont aussi capables de se déshydrater en condition de sécheresse sévère et de se réhydrater au retour de l'humidité (phénomène de reviviscence). Grâce à ces nouveautés anatomiques et physiologiques, les mousses ont colonisé, dans le passé et actuellement, de nombreux milieux y compris des milieux très secs.

== plus tard, de nouvelles espèces terrestres montrent une organisation anatomique faisant apparaître, dans des organismes plus allongés et plus ou moins ramifiés, des alignements de cellules elles-mêmes allongées conduisant chez les plus évoluées à la mise en place de vaisseauxconducteurs de sève brute (solution aqueuse de sels minéraux), à partir d'un système de fixation pénétrant dans les sustrats (racines), vers des organes aériens chlorophylliens recevant CO2, O2, calories et radiations (tiges puis feuilles). A partir de ces organes assimilateurs, la sève élaborée, porteuse de molécules organiques est distribuée par d'autres vaisseaux (liber) dans toutes les parties du végétal dont la croissance et l'entretien sont ainsi assurés. Courts et imparfaits (trachéîdes) chez les premiers végétaux dotés de cette nouveauté anatomique, longs et perfectionnés chez les végétaux plus évolués, ils ont contribué à produire des organismes de grande taille : les arbres.

Parallèlement à ces nouveautés modifiant et perfectionnant l'appareil végétatif des plantes, des nouveautés plus tardives ont aussi concerné les appareils reproducteurs. Au mode de reproduction par spores en vigueur chez les algues et végétaux terrestres archaïques, a succédé un mode de reproduction par graines, protégées per des téguments et formées dans des structures plus ou moins sophistiquées suivant les espèces : les fleurs.

Et même si de nombreuses espèces végétales ont disparu au cours de l'évolution, modèles archaïques et modèles évolués cohabitent dans la nature actuelle. Les différentes espèces constituant les grandes formations végétales qui nous entourent montre un grand nombre d'autres ruses ouastuces qui leur permettent de se perpétuer, de se protéger et de prospérer en tentant de coloniser des milieux nouveaux. Au cours de leur cycle biologique, les plantes déploient des trésorsd'imagination pour se développer et accomplir leur cycle biologique. Ainsi, pour la pollinisation de ses fleurs, un baobab africain attire des chauves-souris mâles par une phéromone simulant celle émise par la chauve-souris femelle.

Quant aux Orchidées, elles font preuve d'une imaginationdébordante en ce domaine :

 

ainsi, le labelle (grand pétale) de l'Ophryssimule une guêpe qu'un individu mâle cherche à féconder en emportant le pollen vers une autre fleur; l'orchidée- marteau brutalise son insecte pour lui assener son pollen tandis que l'orchidée-catapulte, à l'approche de sa guêpe spécifique, lui expédie ses pollinies. Trésors d'imagination aussi pour disséminer les graines : fruits secs ailés de l'orme, de l'érable et du frêne véhiculés par le vent tout comme ceux du pissenlit  surmontés de leur aigrette; semences à crochets de la bardane répandues par les animaux; graines violemment expédiées au loin de l'acanthe lorsque la capsule (fruit sec) mûre s'ouvre. Ruses aussi pour la nutrition. Le cas des plantes carnivores qui attirent les insectes par leur nectar pour les piéger de différentes façons et les digérer, est particulièrement édifiant: feuilles en mâchoires de la dionée ( figure 4 ) , feuille papier tue-mouche de la drosera, urnes attractives de nepenthes, succion de l'utriculaire. Pour leur défense, importante est la panoplie des systèmesélaborés par les plantes: ainsi, pour se débarrasser d'un champignon agressif peuvent-elles le circonscrire ( cas du Coryneum du pêcher ) ou le neutraliser par hypersensibilité (cas de l'Oïdium); elles peuvent berner par mimétisme des insectes prédateurs ( galles, sur feuilles de passiflore, simulant des oeufs), ou neutraliser même de grands animaux ( acacias tueurs d'antilopes, capables de transmettre aux arbres voisins un message hormonal-éthylène- de danger ). Et contre lasécheresse persistante, certaines plantes se sont bien équipées: plantes grasses riches en eau et à cuticule épaisse, plantes épineuses à structure variée.

Ainsi, dans une nature belle mais rude où chaque être doit acquérir sa place, les étonnantes ruses etastuces acquises par les plantes, au cours d'une longue évolution en présence du règne animal, ont été pour elles des  moyens d'exister, de se perpétuer et même de s'imposer dans des écosystèmes en équilibre dynamique.

Marcel Delpoux,

professeur honoraire de l'Université Paul Sabatier, Toulouse.

 Louis Albertini,

professeur émérite à l’E.N.S.Agronomique de Toulouse, I.N.P.T.