Les biomatériaux de substitution et de reconstruction osseuse

Jean-Louis Lacout "professeur émérite" CIRMAT ENSIACET

Conférence du 27 mars 2013

Que ce soit pour nous-mêmes ou l'un de nos proches, nous sommes tous concernés par l'utilisation de biomatériaux orthopédiques. L'importance de ces biomatériaux  ne cesse de croître, pour des raisons diverses liées :

  • à notre propre conception du corps : nous ne  voulons  plus  souffrir  sans raison,  nous souhaitons conserver au maximum  notre mobilité, et  aussi conserver un corps harmonieux
  • à  l'augmentation  de  la  longévité  qui conduit à des problèmes orthopédiques liés au vieillissement  "mécanique"  du  squelette  (défauts des articulations, usure des cartilages), mais aussi à certaines pathologies telles l'ostéoporose
  • à l'augmentation des revenus qui permet d'accéder à des techniques parfois coûteuses
  • et malheureusement aussi aux nombreux traumatismes dus aux guerres, aux accidents de la circulation, …

Le domaine  de la chirurgie  orthopédique,  de l'art dentaire  et des matériaux  et prothèses qui y sont associés est donc un domaine en pleine croissance tant sur le plan économique que sur celui de la recherche fondamentale  et appliquée.  La France, et en particulier Toulouse, ont été et restent en pointe. L'école toulousaine a formé de nombreux chercheurs français et étrangers, essaimé dans de nombreux pays et participé à la création de plusieurs entreprises de fabrication de biomatériaux.

L'utilisation des biomatériaux pour réparer le squelette est très ancienne. Le premier biomatériau rencontré est un morceau de bois calciné, taillé en forme de molaire et retrouvé implanté dans une mâchoire  préhistorique.  Les dents implantées,  en os, en ivoire,  en métal se rencontrent en Egypte, chez les Mayas, dans les civilisations romaines. Un premier  saut important,  dû à Henkel, fut celui de sa prothèse de hanche (en 1950),  première vraie prothèse implantée à la fois compatible, fonctionnelle et durable. Le développement s'accélère ensuite touchant à la nature des matériaux,  leur design et aussi aux approches et techniques chirurgicales. Un second saut important a  été  celui  de  l'utilisation  des  matériaux phosphatés qui assurent une excellente biocompatibilité.  Actuellement les recherches portent sur la relation entre matériaux minéraux et matériaux organiques y compris matériaux vivants. Aborder l'intérêt et le rôle des matériaux de substitution de l'os se fait selon deux approches : définir avec précision ce que l'on exige d'un biomatériau.  pour pouvoir l'élaborer ; et pour cela comprendre l'évolution du squelette, comprendre aussi la formation et la vie de l'os.

On demande tout d'abord à un biomatériau d'être biocompatible. On lui demandera en outre, s'il le peut, d'être bioactif, c'est-à-dire, en particulier dans le cas d'un biomatériau  orthopédique,  de se lier à l'os et même si possible de faciliter la reconstruction osseuse. Bien entendu il  doit  être fonctionnel, c'est-à-dire posséder les qualités mécaniques nécessaires, et aussi rester efficace dans la durée. Enfin il faut qu'il soit d'un coût abordable,  c'est à dire être fabriqué  dans un matériau le moins coûteux possible, facilement usinable et dont la mise en place chirurgicale soit la plus simple possible. On conçoit aisément qu'un tel  cahier  des charges  ne  peut  être  abordé  et réalisé que par des équipes pluridisciplinaires regroupant   des  mécaniciens,  des  métallurgistes, des biologistes, des chirurgiens, des designers, des chimistes.

Le second point concerne la connaissance du squelette et celle de l'os. L'os est essentiellement constitué d'une phase minérale, d'une phase organique  et d'eau. Chacune de ces phases est indispensable et participe aux propriétés mécaniques, à la formation de l'os, à son renouvellement. Dès le départ, c'est sur la partie minérale,  qui   contribue fortement à la solidité de l'os, à ses propriétés mécaniques, tant en flexion qu'en compression, que ce sont portées les premières recherches : remplacer une partie défaillante au moyen d'une prothèse, réaliser un comblement lors d'un défaut osseux pathologique ou traumatique.

La  partie minérale est constituée par un phosphate de calcium appelé "apatite". Cette phase minérale est en fait une phase relativement complexe tant par le nombre d'atomes  qui forment cette molécule minérale que par les substitutions qu'elle permet (remplacement   partiel de certains ions par d'autres).

On peut par exemple noter de nettes différences entre trois formules chimiques données ci-dessous qui correspondent à la formule chimique "idéale", à celle de l'émail dentaire (moyenne) et à celle de l'os mature (moyenne).

Ap a t i t e :       Ca10 (PO4)6 (OH)2

Em a i l :          Ca9,4   ☐0,6  (PO4)5,4(HPO4  et CO3)0,6 (OH et ½ CO3)1,4  ☐0,,6

Os  :                 Ca8,3  ☐1,7  (PO4)4,3(HPO4  et CO3)1,7 (OH et/ou ½ CO3)0,3  ☐1 

Mais cette complexité s'accroît encore si l'on tient compte des états de cristallisation  variable  de ce matériau, de ses capacités de fixation  et d'adsorption d'ions ou de molécules organiques. Cette complexité en fait  sa richesse et son admirable adaptabilité qui ont permis aux organismes  vertébrés de se développer en gagnant en mobilité, en capacité de défense, en possibilités de reproduction. On peut comprendre que les efforts des chimistes des matériaux tendent à créer le matériau qui sera le plus proche de cette partie minérale.

Comment cette partie minérale, ce biomatériau phosphaté, placé en contact avec le milieu  vivant réagit-il ?  Il se mettra très rapidement  en équilibre avec ce milieu,  puis favorisera la précipitation in vivo à sa surface d'une couche minérale et permettra la fixation et la différentiation de cellules capables de fabriquer de l'os. Ainsi, progressivement,  le  biomatériau  initial sera remplacé par un os nouveau. La qualité de l'os nouveau dépendra bien sûr de plusieurs facteurs : les caractéristiques du biomatériau (composition, structure, morphologie,)  du site d'implantation,  de la vitesse de formation,  et des données propres au patient. 

Si le choix de biomatériau de structure apatitique, voisine de celle de l'os, est a priori un bon choix, il reste à en déterminer la composition exacte, mais aussi la forme galénique la plus appropriée, essentiellement liée à la localisation de l'implant et à ce qu'on lui demandera. 

Ainsi devront être prises en compte les propriétés mécaniques de l'implant, sa morphologie,  ses capacités à être substitué ou intégré, sa facilité de mise en œuvre par le chirurgien, les contraintes d'élaboration industrielle en terme de pureté, d'usinage, de stérilisation et aussi le coût.

Il serait très long  et très complexe de discuter de façon précise les différentes interaction et compromis entre ces multiples contraintes chimiques, chirurgicales, industrielles et sociales. On peut cependant avoir une petite approche  de ces biomatériaux  au moyen de trois exemples très différents,  présentant  des  matériaux   utilisés  en chirurgie       orthopédique et dentaire  et qui permettront de montrer la diversité des approches, l'interaction  forte  avec les études et les savoirs fondamentaux et les techniques d'élaboration.

Diverses formes en céramique apatitique implantablesLe premier exemple concerne l'utilisation de pièces, sous forme de blocs, de petits cubes, de cylindres ou de poudre,  en phosphate de calcium destinées à combler des pertes osseuses.  De tels matériaux sont maintenant  utilisés depuis près de 25  ans. Ils sont relativement faciles à préparer, aisément manipulables,  d'un coût abordable.  Ces pièces  mises en place dans le site d'implantation Projection plasma comblent la lésion permettent à l'os d'implantation  comblent  la  lésion,  permettent  à l'os de se former en surface ; cet implant,  peu biodégradable, reste en place très longtemps ce qui dans la plupart des cas ne pose aucun problème. Cependant, les propriétés mécaniques, liées à celles de la céramique en phosphate de calcium demeurent faibles.

Prothèses de hancheLe second exemple concerne le recouvrement de prothèses,  prothèses de hanche, d'épaule, de genoux, implants dentaires. Ce type de prothèse est soumis à de fortes contraintes mécaniques en flexion, cisaillement ou compression. C'est la raison pour laquelle ces prothèses sont réalisées en métal, (aciers spéciaux, alliages de titane) et donnent d'excellents résultats.

Cependant, il est assez évident que la liaison entre le métal et les tissus environnants n'est pas naturelle  et on est dans la plupart des cas tenu à fixer cette prothèse au moyen un ciment organique qui polymérise in situ.

Projection plasmaUne  solution  heureuse, qui  évite l'emploi  de  ce ciment-colle, qui pose certains  problèmes, consiste à  recouvrir  la  pièce prothétique par un phosphate de calcium qui réalisera l'interface biologique active avec l'os environnant. La technique utilisée est une technique "par projection plasma" développée initialement dans le traitement de pièces mécaniques pour l'aéronautique         et l'automobile. Elle consiste à  projeter à très haute vitesse et à très haute température des particules de phosphate de calcium sur la surface de la prothèse. Un dépôt très fin (quelques centaines de microns), très  adhérent, est ainsi formé. Ce dépôt qui sera actif, se liera à l'os et permettra  le  maintien  de  la  prothèse  métallique qui   assurera  elle   les  propriétés   fonctionnelles. Cette technique est largement développée mais est toujours en évolution : modification de la nature exacte du dépôt projeté, choix des meilleures conditions  de  dépôts  et aussi recherche de nouvelles voies de recouvrement.

Ciment apatitique injectableUn troisième exemple concerne l'utilisation de ciments minéraux phosphatés. Un ciment, qu'il soit de construction ou orthopédique est un produit préparé par mélange d'une phase solide et d'une phase liquide,  qui forme une pâte malléable,  puis qui fait prise sur le site sur lequel il est placé. Le ciment orthopédique minéral  offre la possibilité au chirurgien de s'adapter à la forme de la partie à combler, de pouvoir être injecté et mis en place à courte ou moyenne distance, de permettre une intervention sous radioscopie  sans intervention en chirurgie ouverte. Le phosphate de calcium apatitique  dont  la  morphologie   cristalline  est de type aciculaire, c'est-à-dire  sous forme  d'aiguilles, dont les capacités de liaison inter cristallines sont grandes  peut  lorsqu'il  cristallise  former  une structure cohérente due à l'enchevêtrement des cristaux et aux forces inter cristaux. On  se trouve ainsi dans la configuration d'un ciment. Plusieurs types   de ciments apatitiques existent, avec des précurseurs ou des protocoles différents, mais qui concourent tous au même résultat : la formation transitoire d'une  phase pâteuse qui mise en place dans  le  site  d'intervention  pourra faire prise et durcir. La  figure montre le ciment qui après gâchage est introduit dans une seringue ce qui permet l'injection dans le site au moyen d'un trocart.  La facilité d'utilisation pour le chirurgien est aisément compréhensible.

Ces ciments, préparés à la température ordinaire sont assez mal  cristallisés. Leurs qualités d'intégration sont certaines ; il reste cependant souvent à  ajuster  leurs propriétés de résorption, liées à leur état de cristallinité, leur porosité et leur composition  précise.   Un des intérêts des ciments est de pouvoir  leur ajouter  des molécules actives lors  de  leur  préparation : des  molécules antalgiques, antimitotiques, antibiotiques. pour autant  que  ces molécules  ne  perturbent  ni l'injection  ni  la  prise  du  ciment.  Elles   peuvent ensuite être libérées progressivement sur le site d'intervention.

On voit que par cette démarche on s'approche de biomatériaux à caractère "très actif". C'est ainsi que l'on peut voir le développement des biomatériaux phosphatés, dans une association de plus en plus étroite avec des molécules actives, de type médicaments, mais aussi avec des cellules telles des cellules souches et bien d'autres  composés du vivant   (par exemple des facteurs de croissance) susceptibles d'aider à la reconstruction osseuse.

On  dépasse alors le cadre strict des biomatériaux pour aller vers celui d'une nouvelle classe de biomatériaux/médicaments.