LA LAÏCITÉ DANS TOUS SES ÉTATS

Par Georges Bringuier

Inspecteur de l’Education Nationale

Membre de l’Institut Charles Darwin International
Membre de l’association Fermat Sciences

  

laiciteCe sont 95 personnes qui ont assisté le 20 janvier 2016 à la conférence de Georges Bringuier intitulée « La laïcité dans tous les états ». Le conférencier en a rédigé le bref compte-rendu ci-dessous. Pendant plus d’une heure et demie, G. Bringuier a présenté toutes les facettes de ce qu’on entend par laïcité, en prenant appui sur les textes de lois établis depuis plus de deux siècles. Les échanges avec l’auditoire qui ont suivi l’exposé ont montré combien le sujet était difficile et d’actualité.

J.-B. Hiriart-Urruty


La laïcité fait l’objet d’interprétations multiples et est l’enjeu de querelles politiques. On peut avancer que la laïcité est un principe inscrit dans la constitution de 1958 qui permet la mise en acte de des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité. Dans son approche humaniste, la laïcité est un choix de société basé sur ce qui nous rassemble ; c’est une condition de concorde civile.

 

La loi de séparation est la consécration d’une longue marche. Depuis Clovis les relations entre la puissance civile et le pouvoir spirituel sont faites de rivalités oscillant entre ultramontanisme et gallicanisme. La laïcisation démarre avec la révolution de 1789. Le concordat de 1801, la Commune de Paris de 1870, les lois de J. Ferry, la loi de 1901 sur les associations sont autant d’étapes qui conduisent à la loi du 9 décembre 1905. Le principe de séparation réalise une double émancipation : émancipation de l’État de la tutelle religieuse ; émancipation du religieux libéré de tout asservissement politique.

La loi a été amendée une cinquantaine de fois depuis sa promulgation ; la question n’est donc pas de toucher ou non à la loi, mais de perpétuer son esprit. La distinction entre les domaines civils et religieux est une tendance assez générale, mais les voies pour y parvenir peuvent être différentes. La France a choisi la laïcisation caractérisée par la séparation, quand d’autre pays se sont engagés dans une démarche de sécularisation qui repose sur un principe de hiérarchie et un principe de tolérance. Ce système offre la liberté, mais pas l’égalité, alors que dans le modèle laïque, les cultes sont tous placés, au plan juridique, sur un pied d’égalité.

Ces dernières années ont été marquées par une forte volonté de réappropriation de la laïcité par l’École. Celle-ci ne peut pas tout, mais elle doit assumer son rôle ; elle est le socle de la République. L’éducation doit affranchir la conscience de l’élève de toute tutelle, pour libérer la pensée critique, le libre arbitre. L’École est émancipatrice et la neutralité qui résulte de la laïcité garantit le cadre propice aux apprentissages. Pour que le peuple puisse jouir de la liberté de conscience, il ne doit pas être maintenu dans l’obscurité de l’ignorance. L’émancipation intellectuelle n’a pas pour but de « disqualifier les croyances, de pourfendre les religions » affirmait Ferry. Mais la distanciation s’oppose aux préjugés, aux idéologies, aux obscurantismes, aux aliénations. Chacun doit avoir conscience de ce qui tient d’une croyance et de ce qui tient d’une connaissance. La première compétence du professeur est de faire partager les valeurs de la République, en particulier la laïcité et d’aider les élèves à développer leur esprit critique, à distinguer les savoirs des opinions ou des croyances. Non seulement le professeur doit être laïque (respect de la neutralité), mais il doit enseigner et faire la promotion de la laïcité, la défendre le cas échéant, dans le cadre de ses missions.

Après une première affaire du voile en 1989 et trois circulaires aussi improductives les unes que les autres, le gouvernement a mis en place une commission chargée de réfléchir à l’actualité de la laïcité. La loi interdisant le port ostensible de signes religieux à l’école a été votée le 15 mars 2004. Les élèves peuvent porter des signes discrets, seuls les signes et vêtements manifestant ostensiblement une appartenance religieuse sont interdits. Toute procédure disciplinaire doit être précédée d’une phase de dialogue pendant laquelle le chef d’établissement veille aux conditions de la scolarisation de l’élève en concertation avec l’équipe pédagogique.

Dans la Charte de la laïcité à l’école, il est rappelé qu’une conviction religieuse ne peut être invoquée pour contester un enseignement. Il convient d’éviter la confrontation du discours religieux et du savoir scientifique ; il est essentiel de refuser d’établir une supériorité de l’un sur l’autre comme de les mettre à égalité. Le savoir est tacitement laïque : il appartient à la sphère publique, il est universel ; les opinions, les croyances sont particulières et appartiennent à la sphère privée.

La liberté d’expression ne peut être réduite pour des raisons de blasphème. La religion peut être soumise à la critique, aussi radicale soit-elle, comme toute autre opinion philosophique ou politique. Le respect concerne le croyant, non les contenus de ses croyances. La seule limite est le respect de la personne et de son intégrité morale. L’injure raciste, l’apologie de crimes contre l’humanité et du terrorisme, ou l’incitation à la haine tombent sous le coup de la loi.

La laïcité représente un enjeu majeur pour la construction de la société future. Mais la laïcité n’a jamais été autant mise en danger : menacée de l’intérieur, par ceux qui veulent réintégrer les religions dans l’espace public, par ceux qui veulent assouplir la laïcité de manière à répondre à de nouvelles problématiques, menacée de l’extérieur par l’isolement de la France. Mais le plus grand danger reste l’ignorance laïque. Plus que jamais, l’École porte le projet républicain ; elle doit se mobiliser pour provoquer un « sursaut laïque ».

G. Bringuier