Paul Sabatier chimiste

Créateur et révolutionnaire,

Pédagogue passeur de savoir

Armand LATTES et Jean Louis LACOUT

Professeurs émérites d'Université 

Armand Lattes, professeur émérite de l'Université Paul-Sabatier à Toulouse, ancien directeur de l'Ecole de chimie et successeur ainsi de Paul SABATIER.
Jean Louis Lacout  Professeur émérite à l' ENSIACET précédemment Ecole de Chimie et Institut de Chimie.

Paul Sabatier Doyen de l'Université (1905)Paul Sabatier fait partie des personnalités les plus importantes et les plus connues de la ville de Toulouse. Prix Nobel de chimie, créateur des Grandes Ecoles Scientifiques toulousaines, il a marqué de son empreinte la chimie toulousaine. L'Université des sciences de Toulouse porte son nom.

C'était certes un grand scientifique, mais c'était aussi un homme de conviction et de fidélité. Fidèle à ses convictions religieuses, à ses convictions scientifiques, fidèle à ses convictions patriotiques et fidèle à "sa" ville : Toulouse.

Paul Sabatier, est né le 5 novembre 1854, il était le septième enfant d’Alexis Sabatier et de Madame née Pauline Guilhem. Modeste propriétaire terrien, Alexis avait dû abandonner son exploitation pour « s’exiler en ville » et ouvrir, avec Pauline, un commerce de chapeaux.

Le foyer avait déjà vu naître quatre filles et deux garçons; Il fut élevé en grande partie par sa sœur aînée Célina. Plus âgée que lui de 17 ans, très intelligente, elle devait par la suite apprendre le latin et les mathématiques afin de les enseigner à son frère.

Il ne fait aucun doute que c’est dans ce cocon familial que les sentiments "régionalistes" de notre futur savant ont trouvé naissance.

Très doué, très précoce, à trois ans Paul savait compter et connaissait l’alphabet.

Élève à l’école primaire de Carcassonne, où il accumula les prix, il rejoignit en 1868 le grand lycée de garçons de Toulouse

En mai 1869, la défaite des démocrates aux élections fut suivie de mouvements divers dans l'Empire français de Napoléon III. Les lycéens ont poursuivi la contestation au sein même de leur lycée. Ces désordres décidèrent ses parents de confier sa formation aux pères jésuites du collège Sainte-Marie de Toulouse, collège qui devint par la suite, à partir de 1874, le Caousou. C’est dans cet environnement que se développèrent plusieurs traits de sa personnalité :

Catholique convaincu − même si, au lycée, sa place de 13e en instruction religieuse n’était pas brillante −, il aimait suivre les cérémonies religieuses, les processions.

Le collège des pères jésuites se révéla favorable au développement de la philosophie religieuse qu’il devait adopter toute sa vie. Cet attachement à la religion catholique lui valut en 1885 un veto du gouvernement d'alors : celui ci refusa qu'il devienne doyen de l'Université des Sciences de Toulouse.

Grand admirateur de l’Armée, il adorait les défilés et se réjouit fort des grandes manœuvres du 14 mars 1870 à Toulouse, ce que sa sœur Valérie rapporte dans une lettre à leur frère Théodore : « notre frère Paul a envie d’être, quelque jour, général.»

C’est avec les baccalauréats ès lettres et ès sciences en poche, en 1872, qu’il commença ses classes préparatoires à Versailles à l’École Sainte-Geneviève. Deux ans plus tard, il fut reçu à la fois à l’École Normale Supérieure (ENS) et à l’École Polytechnique, dans un très bon rang, et choisit l’ENS. Le choix de l’ENS peut paraître surprenant quand on se rappelle son attrait pour l’Armée ; cela s’explique par la chronologie des résultats d’admission aux deux écoles : les résultats pour l’entrée à Polytechnique ayant été publiés plus tard.

Il adorait les sciences et ne manquait pas de suivre, en 1868, les conférences et cours publics de Filhol et de Daguin dans l’amphithéâtre de la Faculté des sciences de la rue Lakanal. Son oncle Paul écrivait d’ailleurs, dans une lettre du 20 février 1869 : " […] la physique et la chimie passent avant tout ce qu’on lui fait apprendre au lycée : il voudrait toujours faire des expériences "

Paul Sabatier était un étudiant instruit à la fois en sciences et en philosophie, mais également ouvert à toutes formes d’art : à des talents de peintre s’ajoutait un don musical certain qui lui permettait même d’improviser au piano. Pendant ses études parisiennes, son goût pour les sciences se trouva renforcé, en particulier grâce aux remarquables enseignements de Charles Friedel et Henri Sainte-Claire-Deville, et à l’environnement expérimental que l’introduction de la recherche dans son école par Louis Pasteur, directeur de la section scientifique, avait permis de développer.

Rappelons qu’à cette époque, la chimie française comptait quatre grands savants :

  • Louis Pasteur,
  • Claude Bernard
  • Adolphe Wurtz,
  • Marcelin Berthelot, Malgré ses grandes qualités scientifiques, ce dernier continua à utiliser la théorie des équivalents et, à la suite de ses fonctions comme ministre de l’Instruction publique, bloqua l’enseignement de l’atomistique jusqu’en 1890, refusant aussi la classification de Mendeleïev. Rationaliste, intolérant, matérialiste, il était l’opposé de Louis Pasteur au plan philosophique.

En 1877, à 23 ans, Paul Sabatier, reçu premier à l’agrégation de sciences physiques, fut nommé professeur au lycée de Nîmes où il enseigna quelques mois avant de revenir à Paris. Sollicité à la fois par Louis Pasteur et Marcelin Berthelot, il choisit contre toute attente Berthelot et le Collège de France où, en 1878, il devint préparateur. Ce choix de Berthelot peut paraître étonnant car leurs pensées philosophiques et scientifiques étaient totalement divergentes.

Le travail de recherche entrepris par Sabatier concernait les sulfures métalliques. Il devait aboutir, en 1880, à la soutenance de sa thèse de doctorat ès sciences intitulée: "Recherches thermiques sur les sulfures". Docteur ès sciences à 26 ans, trois universités lui proposent un poste de maître de conférences (aujourd’hui  professeur  de 2e classe) : Alger, Bordeaux et Lyon. C’est à la Faculté des Sciences de Bordeaux (la plus proche de Toulouse) qu’il exerça d’abord en enseignant la physique. Moins de deux ans après, en 1882, c’est toujours en physique qu’il est nommé à Toulouse comme chargé de cours, passant de la physique à la chimie en 1883, pour être enfin nommé professeur titulaire de la Chaire de chimie générale le 24 novembre 1884, à 30 ans, l’âge minimum requis pour occuper un tel poste. Pour un universitaire, enseigner en province était à cette époque à la fois un défi et une aventure, et le choix de notre illustre scientifique risquait de compromettre sa carrière de chercheur car le peu de recherche d’alors était réalisé exclusivement, ou presque, à Paris. Ce choix correspondait certes à ses souhaits mais était un choix courageux.

À peine installé, il prend l’initiative de créer le premier laboratoire de recherche de la Faculté des sciences, laboratoire qu’il devait diriger et animer de 1884 à 1939, et dont on lui laissa la jouissance après sa mise à la retraite. C’est d’abord rue Lakanal, dans une dépendance de l’hôtel de Bernuy (aujourd’hui lycée Pierre de Fermat), qu’il s’installa. Les difficultés qu’il dut surmonter pour réaliser cette installation sont très bien décrites dans un extrait du livre que les Éditions Privat éditèrent à l’occasion du 700e anniversaire de la création de l’Université de Toulouse : « Quand Monsieur Sabatier vint comme chargé de cours remplacer Monsieur Daguin (janvier 1882), il se préoccupa de réaliser pour la physique un laboratoire d’enseignement et de recherches. Il y parvint en transférant dans l’ancien logement du Doyen situé au premier étage, les vitrines du cabinet de physique libérant ainsi au rez-de-chaussée, derrière la salle de cours, trois pièces que l’on s’efforça d’éclairer et d’aménager pour y installer les travaux pratiques de physique. Une vaste salle humide, qui servait de dépôt de bois de chauffage et ne recevait le jour que d’une cour intérieure voisine de la tour du lycée, put aussi être assainie et devint un laboratoire de recherches. »

Faculté des Sciences, allées Jules GuesdeDès 1892, c’est dans les locaux neufs de la Faculté des Sciences, allées Jules Guesde, que furent transférées toutes ses activités.

C'est alors que commença réellement sa carrière universitaire toulousaine de chercheur et d'enseignant. A ces deux missions il accepta d'ajouter des charges administratives. Il voulait que Toulouse devienne une grande université nationale et internationale. Cela ne dut pas être facile car il se heurta souvent à Marcelin Berthelot devenu ministre. Il sut cependant trouver des appuis solides dans la municipalité toulousaine et auprès de Jean Jaurès dont il devint l'ami. Mais son plus grand appui il le trouva dans la qualité de ses recherches.

Associé à deux de ses anciens élèves devenus ses collaborateurs : Senderens, et Alphonse Mailhe, il développa des travaux originaux, à la fois expérimentaux et théoriques dans le domaine de la catalyse sur des métaux. La catalyse est la capacité qu'ont certaines substances, en particulier des métaux, de permettre une réaction, de l'orienter et d'en modifier la vitesse. Les travaux de Paul Sabatier portèrent en particulier sur l'hydrogénation des hydrocarbures insaturés. Il a pour cela travaillé en véritable minéraliste sur la synthèse des catalyseurs et des oxydes mixtes. Ces recherches furent pour une bonne part à l'origine du grand essor de la pétrochimie.

Ensemble ils déposèrent une dizaine de brevets et rédigèrent plus de trente publications. Le dépôt de brevets montre l'importance qu'il accordait à la valorisation de ses travaux.

On lui proposa une nomination à l'Académie des Sciences. Mais pour cela, selon la règle de cette institution dans une France très jacobine, il fallait être résident parisien, en vérité résider à moins de 24 heures à cheval du centre de Paris. Il refusa de quitter Toulouse, ses étudiants et son laboratoire. Il fallut attendre plusieurs années pour que l'on change les règles et qu'il puisse entrer dans cette Assemblée savante. En 1885 on lui proposa de devenir doyen de la Faculté des Sciences mais cela fut refusé par le ministre pour ses positions cléricales et libérales. Il attendit 1905 pour devenir Doyen, successeur du Doyen Baillaud; Il occupa cette charge jusqu'en 1929.

Il professait dès 1888, le soir, un cours public de chimie agricole dans le vieil amphithéâtre de la rue Lakanal; le choix de la discipline était lié à l’importance de l’agriculture pour l’économie régionale. Devant le grand succès de ses conférences, un enseignement de chimie agricole fut créé l’année suivante. En 1893, une station agronomique était annexée à la Faculté des Sciences, suivie l’année après d’une station d’essais de semences et de pathologie végétale et, en 1901, d’une station de pisciculture et d’hydrobiologie. Tout ce travail devait aboutir en 1909 à la création d’une École d’ingénieurs agricoles grâce aux fonds apportés par la municipalité, le Conseil Général de la Haute-Garonne et diverses associations agricoles et horticoles. Depuis 1896, un enseignement de chimie appliquée était dispensé aux étudiants toulousains et un diplôme de chimiste délivré par la Faculté. En 1906, ce diplôme fut remplacé par un diplôme d’ingénieur chimiste préparé au sein de la Faculté des sciences, dans l’Institut de chimie, Institut de Faculté qui, devant le succès qu’il obtint, fut rapidement promu « Institut d’Université ».

La houille blanche apparaissait à notre savant comme une opportunité pour sortir la région d'une situation vouée essentiellement à l’agriculture, son développement industriel étant fortement compromis par l’absence d’approvisionnement proche en charbon. Cette idée est à la base de la création en 1907 de l’Institut d’Electrotechnique et de Mécanique Appliquée qui délivrait un diplôme d’ingénieur, mais aussi celui de conducteur, équivalent de nos jours à celui de technicien supérieur.

En 1912 il partage le Prix Nobel avec un autre chimiste français Victor Grignard. Cette haute distinction, qui actuellement mobilise les médias et les politiques, ne suscitait pas alors pour le public un grand intérêt. Seul un bref entrefilet dans le Midi Socialiste note l'obtention de ce prix par un toulousain en signalant que ce prix est constitué par une médaille, un diplôme et 193000 francs une somme importante alors : d'ailleurs P Sabatier en utilisera une grande partie pour participer à la construction de l'Institut de Chimie, rue Ste Catherine.

Institut de Chimie (rue Ste Catherine) On remarquera à l'extérieur, auvent et paillasses pour manipulations sur des réactions dangereusesC’est par la gestion et l’animation de ces instituts, mais aussi avec ses valeurs propres d'égalité sociale, de partage que P. Sabatier put mettre en application ses idées novatrices en matière d'enseignement et d'ouverture de l'enseignement supérieur.

Les élèves avaient ainsi la possibilité de suivre une partie de leurs études dans un autre pays que le leur ; la réciprocité étant de fait : en 1929, les deux tiers des étudiants de l’Institut de Chimie étaient américains ; en réciprocité il envoyait nombre d'élèves français à l'Université d'Harvard. En clair, Il avait déjà mis en place "Erasmus" entre la France et les USA.

Très novatrice fut aussi l’idée de créer une formation de contremaîtres et de techniciens dans des établissements relevant de l’Université.

Plus révolutionnaire encore apparaissait sa volonté d’admettre des élèves non bacheliers dans des établissements relevant de l’enseignement supérieur. Ce fut le cas en 1906 de Georges Mignonac qui a été par la suite à l’origine de très beaux travaux en chimie organique et qui fut son successeur direct de Sabatier à la direction de l'Institut de Chimie.

Paul Sabatier a aussi favorisé l'intégration des jeunes filles et jeunes femmes dans l'université. Ainsi sur des photos de ses collaborateurs et élèves, dans les salles de travaux pratiques de l'Institut de Chimie, on voit la présence de jeunes filles ou jeunes femmes. On sait à partir des listes d'anciens élèves que les jeunes filles étaient plus nombreuses à l'Institut de Chimie de Toulouse qu'à l'Ecole de chimie de Paris ou de Lyon.

 Ce fut, selon la mémoire de ses anciens élèves, un excellent pédagogue. Sur les photos prises dans les salles d'enseignement on sent la proximité qu'il avait avec ses élèves.

Paul Sabatier (en bas au centre) entouré de ses élèvesIl était méticuleux, vif et rationnel, il aimait l'expérimentation, toutes qualités qui convenaient parfaitement à l'enseignement de la chimie.

Son engagement patriotique se manifesta encore lorsqu'en 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, il rendit la médaille que lui avait attribuée la Société de chimie allemande.

 Manuscrit de Paul Sabatier (expérimentation sur la réaction de CO2 sur divers métaux)

Paul Sabatier a été et reste un grand savant internationalement reconnu pour son importante contribution à la connaissance des processus catalytiques, tant sur le plan fondamental et théorique que sur celui des applications.

Au niveau toulousain son œuvre fut immense. Il a mis toute son énergie à faire de la Faculté des Sciences une des premières Facultés françaises, reconnue internationalement. Il a laissé une œuvre considérable : l’Institut d’Electrotechnique et de Mécanique Appliquée, actuellement l'ENSEEIHT, l'Institut de Chimie devenu maintenant l'ENSIACET après la fusion avec l’Ecole des ingénieurs du Génie chimique, l'Institut agronomique devenu l'ENSAT. Ces trois Ecoles ENSEEIHT, ENSIACET, ENSAT sont regroupées maintenant au sein d'une même université : l'Institut National Polytechnique (INPT). Ce regroupement va dans le sens de ce que souhaitait Paul SABATIER : un ensemble d'enseignement et de recherche pluridisciplinaire ouvert et tourné vers la valorisation.

Il a aussi été à l'origine de l’implantation de l'usine de fabrication d'ammoniac et d’acide nitrique, anciennement ONIA, APC puis AZF.

Le prix Nobel attribué à Paul Sabatier présenté par son petit-fils  Arnaud Boubée de GramontOn peut dire qu'il est à l'origine du développement de la Chimie toulousaine. Une chimie moderne, rationnelle, tournée vers l'expérimentation et qui garde encore dans ses thèmes d'excellence et dans sa démarche l'impulsion de ce grand savant.

Les chimistes toulousains, à travers les enseignements de leurs maitres et la filiation de leurs enseignements peuvent tous se dirent élèves et disciples de Paul Sabatier. 

 Bibliographie :

 Paul Sabatier Prix Nobel de Chimie 1912 ; biographie et œuvre scientifique . Armand Lattes. Actualité Chimique Oct. Nov. 2012 367-368
 "Il était mon grand père" Boubée de Gramont Arnaud . entretien, La Dépêche du Midi 30/01/2011
 Paul Sabatier ; un chimiste indépendant 1854-1941  Bruno Wojtkowiak. Edition Jonas, collection Trans, 1989
 

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