Pierre de Fermat

         Magistrat, philologue et mathématicien illustre

(Beaumont-de-Lomagne, vers 1605 - Castres, 1665)

Par Maryvonne Spiesser
Maître de conférences honoraire de l’université Paul Sabatier de Toulouse
Membre correspondant de l’Académie internationale d’histoire des sciences et techniques

Avertissement : La matière de l’article qui suit est extraite d'une publication plus longue : Spiesser Maryvonne, « Fermat » in Dictionnaire des réseaux intellectuels toulousains en Europe, XVe-XVIIIe siècles (2015) sous la direction de F. Nepote et N. Dauvois, en ligne www.bibliotheca-tholosana.fr. Nous remercions M. Spiesser et F. Nepote pour leur contribution à la présente publication.

J.-B. Hiriart-Urruty Membre AMOPA 31

 Une vie privée et publique difficile d’accès

Portrait de Pierre de Fermat  (par François de Poilly)

Beaucoup d'inconnues demeurent quant à la naissance de Pierre de Fermat. Il a été longtemps acquis qu’il était né en 1601. Aujourd’hui cette date est contestée car l’identité de sa mère est remise en cause : est-ce Françoise Cazeneuve, fille d’un marchand aisé des environs de Beaumont-de-Lomagne, ou Claire de Long, seconde épouse de son père, issue d’une famille de la noblesse de robe convertie au protestantisme ?

L'examen croisé des quelques documents administratifs qui ont survécu permet de pencher en faveur de cette dernière, et par voie de conséquence en faveur d’une naissance du mathématicien entre 1605 et 1609 (Gairin, 2002). Outre l'intérêt généalogique que suscitent ces énigmes, soulignons que cela peut changer la donne quant à la précocité mathématique de Fermat, et que le fait d'appartenir à une famille protestante du côté maternel pourrait expliquer certains choix dans sa carrière et ses engagements personnels. De même, on ignore l’endroit où repose sa dépouille : il est probable qu’inhumé à Castres, le 13 janvier 1665, son corps n'a été transféré, ni à Beaumont ni à Toulouse. Une épitaphe latine affirmant que Fermat est décédé à 57 ans ou dans sa 57e année est conservée au musée toulousain des Augustins. 

Dominique Fermat, père de Pierre, est un notable de Beaumont, il y est consul à plusieurs reprises et participe activement à la vie de la cité. C’est aussi un marchand dont les affaires sont prospères (son fils Pierre saura lui aussi faire fructifier son patrimoine). Les années d’étude de Pierre de Fermat sont également très mal connues ; en particulier, on ne sait rien de sa formation mathématique.

Il fréquente l’université d’Orléans, où il acquiert le titre de bachelier de droit civil ; par la suite, il est nommé bachelier agrégé à Toulouse en 1631. La même année, il épouse Louise de Long qui est sa cousine au quatrième degré, comme le stipule l'acte de mariage (Gairin 2002, p. 64, n. 135 ; Féron 2002, p. 35-36). Parmi leurs enfants, Clément-Samuel, également magistrat à Toulouse, jouera un rôle important dans l’édition des œuvres mathématiques de son père. Entre les années d’étude à Orléans et l’installation à Toulouse comme magistrat, Fermat a sans doute exercé au titre d’avocat à Bordeaux, où il a dû faire ses premières armes en mathématiques. Il y a entre autre côtoyé le magistrat Étienne d’Espagnet, fils d'un ami du mathématicien François Viète (1540-1603) dont Fermat se réclame régulièrement dans ses lettres et écrits.

Beaucoup d'inconnues demeurent quant à la naissance de Pierre de Fermat. Il a été longtemps acquis qu’il était né en 1601. Aujourd’hui cette date est contestée car l’identité de sa mère est remise en cause : est-ce Françoise Cazeneuve, fille d’un marchand aisé des environs de Beaumont-de-Lomagne, ou Claire de Long, seconde épouse de son père, issue d’une famille de la noblesse de robe convertie au protestantisme ? L'examen croisé des quelques documents administratifs qui ont survécu permet de pencher en faveur de cette dernière, et par voie de conséquence en faveur d’une naissance du mathématicien entre 1605 et 1609 (Gairin, 2002). Outre l'intérêt généalogique que suscitent ces énigmes, soulignons que cela peut changer la donne quant à la précocité mathématique de Fermat, et que le fait d'appartenir à une famille protestante du côté maternel pourrait expliquer certains choix dans sa carrière et ses engagements personnels. De même, on ignore l’endroit où repose sa dépouille : il est probable qu’inhumé à Castres, le 13 janvier 1665, son corps n'a été transféré, ni à Beaumont ni à Toulouse. Une épitaphe latine affirmant que Fermat est décédé à 57 ans ou dans sa 57e année est conservée au musée toulousain des Augustins.

Fermat est assermenté le 14 mai 1631 devant la Grand’Chambre du Parlement de Toulouse, et devient commissaire aux requêtes, poste qu’il cède fin 1637 pour un office de conseiller à la Cour qu'il conservera toute sa vie et qui l'appelle naturellement à siéger dans les différentes chambres du Parlement (Henri Gilles, dans Féron 2002, p. 48-64). Tout en exerçant honorablement son métier, Fermat consacre une bonne partie de son temps libre à ses passions littéraires et scientifiques ; toutefois, certaines périodes de l’année sont si occupées par le Parlement qu’il dispose de trop peu de temps, à son goût, pour réfléchir à ses chères mathématiques : « Les occupations que les procès nous donnent sur la tête m’ont empêché de pouvoir lire à loisir les traités que vous m’avez fait la faveur de m’envoyer », écrit-il par exemple à Mersenne en 1641 (éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 218).

Le milieu parlementaire lui est cependant fort utile : il y côtoie des gens cultivés, qui l’introduisent à la fois dans le domaine des lettres et dans celui des sciences, sur le plan local comme sur le plan international : c’est son collègue au Parlement Pierre de Carcavy – il quittera Toulouse pour Paris en 1636 – qui le met en relation épistolaire avec le père minime Marin Mersenne et donc avec l’Europe mathématique. Ce dernier joue en effet un rôle essentiel dans les réseaux de correspondances savantes qui outrepassent les frontières des royaumes et constituent, à proprement parler, la République des Lettres.

Fermat et les milieux littéraires et scientifiques de Toulouse et de Castres

Chez l’homme de lettres comme chez le mathématicien, des constantes se repèrent, notamment dans la méthode de travail, mais une différence importante est à noter : le milieu local est beaucoup plus fécond pour les contacts littéraires (et surtout philologiques) que mathématiques. Ce décalage doit vraisemblablement être attribué à un dispositif local (académie des Jeux floraux et autres cénacles savants) nettement plus favorable à une réflexion et à une pratique littéraire que scientifique. Alors que s'opère une transformation radicale dans la manière d'appréhender les phénomènes naturels, soutenue par des mathématiques nouvelles et audacieuses, le milieu savant régional n'est pas encore entré de plain-pied dans cette aventure moderne.

Parmi les interlocuteurs locaux de Fermat, hommes d’Église ou plus souvent de la magistrature et du barreau, citons tout d’abord Charles de Montchal, archevêque de Toulouse de 1627 à 1651, helléniste, grand bibliophile, dont la collection de manuscrits permet à Fermat d’exercer ses capacités de philologue. L'archevêque lui a procuré les Harmoniques de Bryenne, auteur byzantin du XIVe siècle, ou encore un traité grec sur la musique que Fermat a annoté. Figure également parmi les interlocuteurs toulousains de Fermat un collègue au Parlement, Bernard Medon, membre de l’Académie des Lanternistes (ancêtre de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse) et participant actif du cénacle de l’archevêque de Montchal.

Mais c’est surtout à Castres que se retrouvent nombre de correspondants et d’interlocuteurs de Fermat. Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles le magistrat affectionnait tout particulièrement d’y séjourner. Ce bastion de la religion réformée en albigeois, au début du XVIIe siècle, accueille la Chambre de l’Édit entre 1632 et 1670 ; et ce sont les membres de cette Chambre, parmi lesquels se trouvent beaucoup de huguenots, qui ont constitué les forces vives de l’Académie fondée en 1648 par Paul Pellisson, et dont les années florissantes se situent dans cette période. Le réseau castrais de Pierre de Fermat s’organise autour de l’Académie locale. Bien qu'à notre connaissance, il n'ait jamais été membre de cette institution, elle constitue la pierre de touche de ses alliances amicales et littéraires. L'avocat Pierre Saporta, membre de cette petite académie et traducteur du Traité sur la mesure des eaux courantes du père bénédictin Benedetto Castelli, ainsi que d’un ouvrage de Torricelli sur « le mouvement des eaux », admire Fermat. Il lui dédie d'ailleurs ces deux traductions, en des termes élogieux et respectueux :

Je parlerois de vostre jugement dans les affaires du Palais, ou vous avez passé la plus grande partie de vostre vie, et ou vous avez fait paroistre tant d’integrité, et tant de suffisance en l’administration de la Justice, qu’il y a de quoy s’estonner, qu’ayant acquis toutes les qualitez d’un grand Juge, vous ayez peu acquerir une parfaite intelligence de tant d’autres choses, qui sont si differentes de cette sorte d’estude. (éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 497)

Paul Pellisson (1652)  une des relations castraises de P. de Fermat

Parmi les relations castraises de Fermat, notons aussi Paul Pellisson, Jacques de Ranchin, conseiller au Parlement de Toulouse, également membre de la Chambre de l’Édit, helléniste et grand collectionneur de manuscrits. Quant au médecin et savant éclectique Pierre Borel, il permet notamment à Fermat d’entrer en contact avec le savant anglais Kenelm Digby, ou de recevoir des nouvelles de Willem Boreel, diplomate hollandais (sur Borel, voir Foucault 1999, p. 11).  Ces académiciens et magistrats de Castres, loin d’être isolés dans leur province, sont au fait du bouillonnement littéraire et scientifique de la République des Lettres.

Les productions littéraires de Fermat ne sont pas bien connues. Comme pour les mathématiques, il se contentait souvent d'annoter ses livres dans les marges. 

En mathématiques, les échanges de Fermat avec le milieu local sont réduits. Les savants castrais comme Borel ou Saporta sont davantage intéressés par la physique, l’astronomie ou la médecine que par les mathématiques. Le milieu jésuite a sûrement fourni des interlocuteurs, capables de le suivre. On connaît l'amitié de Fermat avec le Père Lalouvère, son quasi contemporain (1600-1664), qu’il pressa de répondre au concours lancé par Pascal sur la  cycloïde (Lalouvère, 1660 et éd. Tannery-Henry, I, 1891, p. 199-210). La seule véritable publication imprimée de Fermat, une dissertation géométrique sur la rectification des courbes, est une annexe anonyme au traité sur la cycloïde du père jésuite, paru en 1660 (éd. Tannery-Henry, I, 1891, p. 211-254). Si Lalouvère n’a pas le génie de Fermat, ni son audace scientifique, il n’en reste pas moins l’un des meilleurs interlocuteurs locaux.Nous sont parvenus quelques vers épars et un poème latin sur l’agonie du Christ dédié à Guez de Balzac, lu à l’Académie de Castres en 1656 et ultérieurement publié par Samuel dans l’édition de l'Arithmétique de Diophante commentée par son père.

Quant au Père minime Emmanuel Maignan (1601-1676), il est l’homme de science toulousain le plus reconnu après Fermat, en son temps. Appelé à Rome en 1636, il quitte  Toulouse au moment où Fermat s’affirme comme mathématicien et n’y revient qu’en 1650. On ne sait rien des relations éventuelles qu’il entretient alors avec le magistrat toulousain.

Fermat, membre éminent de la communauté mathématique européenne

Statue de P. de Fermat par A. Falguière, musée des Augustins, ToulouseSi les échanges locaux se révèlent mal connus et relativement peu fournis, la correspondance montre en revanche des relations privilégiées avec les grands noms de la communauté mathématique européenne (Descartes, Roberval, Pascal, Frénicle de Bessy, Wallis, Digby...), grâce à la diligence de Mersenne puis de Carcavy. Les contacts que Fermat entretient avec Mersenne jusqu'à la mort de celui-ci témoignent d’une forme nouvelle de travail scientifique collectif. Les missives sont un espace de débats, de critiques mutuelles, d’échanges et de coopération ; en l'absence de périodiques spécialisés, c'est le seul moyen de communication à distance (le premier numéro du Journal des sçavans et des Philosophical Transactions paraît en 1665). C'est par le biais des lettres que sont lancés des défis scientifiques. Le magistrat toulousain propose deux défis mathématiques à l'Europe savante en janvier et février 1657 (éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 332-335).

xn + y≠ zn

pour n>2

Le grand théorème de Fermat

Fermat n’est probablement jamais allé à Paris, même s'il dit son intention d’aller y séjourner quelques mois en 1636, « s’il peut trouver quelque occasion », afin de mettre par écrit ses « nouvelles pensées » en mathématiques (Lettre à Mersenne, Œuvres, Tannery-Henry, II, 1894, p. 14). Vingt ans plus tard, en 1656, il a voulu rencontrer Pascal à mi-chemin de leurs deux résidences, mais celui-ci a décliné. Fermat était-il vraiment très isolé dans sa province ? Certes il était privé de ces irremplaçables discussions directes, mais il faut relativiser : ses lettres montrent qu’il se tient au courant de l’actualité livresque et se fait envoyer ce qui l’intéresse. D’autre part, c’est à cette époque que « la poste aux lettres » s’organise, si bien qu'il peut s’écouler moins de trois semaines entre l’envoi d’une missive et sa réponse ; et le mathématicien toulousain utilise aussi le déplacement de messagers ou de ses amis entre Toulouse et Paris, pour acheminer son courrier.

C’est par son œuvre scientifique que Fermat a marqué son temps. Il est reconnu par la communauté mathématique européenne pour être l'un des plus grands géomètres : à « l'assemblée de nos mathématiciens », lui dit Roberval, votre nom a été « élevé jusques au ciel, avec charge particulière à moi de vous remercier au nom de la Compagnie [...] » (éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 103) ; pour Blaise Pascal, il est « celui de toute l’Europe qu['il tient] pour le plus grand géomètre » (Pascal à Fermat, août 1660, éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 451). On lit dans l’éloge paru à sa mort dans le Journal des sçavans : « il excelloit dans toutes les parties de la mathématique ; mais principalement dans la science des nombres et la belle Geometrie » (éd. Tannery-Henry, I, 1894, p. 359).

De fait, Fermat a participé à la plupart des grands débats qui ont agité le monde mathématique dans la première moitié du XVIIe siècle. Son nom est associé à la naissance du calcul différentiel et intégral (pratiquement tous les grands mathématiciens de l’époque y ont travaillé), à celle de la géométrie analytique aux côtés de Descartes, ou du calcul des probabilités avec Pascal. Enfin il est le premier artisan du renouveau de la théorie des nombres, qui n’attirait alors que peu de savants. C’est dans ce domaine plus particulièrement qu’il a suscité de nombreuses recherches après sa mort. À son nom est attaché une des conjectures les plus 'médiatisées' au XXe siècle, le fameux « grand théorème » : alors qu’il existe une infinité d’entiers naturels non nuls x, y, z tels que x2 + y2= z2 (c’est le théorème de Pythagore), il n’en existe pas qui, pour n entier supérieur ou égal à 3, vérifient xn + yn= zn. Cet énoncé a eu ses heures de gloire en 1994 lorsque le chercheur Andrew Wiles a mis fin à trois siècles de résistance.

René Descartes, farouche opposant  de Pierre de Fermat

Participer au débat de la République des Lettres, c’est aussi prendre part aux controverses qui accompagnent naturellement les échanges intellectuels. Fermat connut deux différends majeurs. Une algarade eut lieu dans les années 1650 avec le mathématicien anglais John Wallis, à propos des quadratures et aussi d'arithmétique (voir le Commercium epistolicum de Wallis, dans éd. Tannery-Henry, III, 1896, p. 399-610), plus précisément sur les solutions aux défis lancés par le mathématicien toulousain. La querelle avec Descartes fut plus durable et plus profonde. En 1637, Fermat, disposant des premiers éléments de la Dioptrique, formule des critiques sur les principes conduisant le philosophe à la loi sur la réfraction (Mahoney, 1999, p. 387-402). Descartes prend fort mal ces remarques et la querelle entre les deux hommes s'envenime à partir de 1638 lorsque Fermat envoie son écrit sur la recherche des minima et maxima et des tangentes aux lignes courbes, un texte algorithmique, non argumenté, ouvrant donc naturellement la voie à la critique (éd. Tannery-Henry, III, 1896, p. 121-123). Descartes attaque très durement son adversaire, la plupart des mathématiciens s'impliquent dans la polémique qui partage la communauté en deux camps. Descartes en viendra à une forme de conciliation plus courtoise, sans que l'animosité s'éteigne totalement de sa part (Mahoney, 1999, p. 170-195).

Le mathématicien à l'œuvre, à travers sa correspondance

L'une des spécificités de Fermat est de mettre à l’épreuve sa formation encyclopédique, son goût pour les lettres et les langues, dans ses recherches mathématiques. Il connaît bien les auteurs grecs et latins. C'est même le plus souvent le point de départ de ses recherches. Il a beaucoup étudié les travaux d’Apollonius, via la restitution qu’en fit Pappus d’Alexandrie au IVe siècle. Sa lecture est celle, critique, du philologue. Fermat est très admiratif de la mathématique grecque. « Il n’y a pas d’ouvrage, s’enthousiasme-t-il encore à propos des « lieux plans » d'Apollonius, où resplendissent plus vivement les merveilles de la Géométrie » (éd. Tannery-Henry, III, 1896, p. 3). Il est toutefois, comme la plupart de ses contemporains, désireux d’aller au-delà, et s’appuie sur ce legs pour découvrir des propositions nouvelles « qui ne sont pas dans les Livres », ni anciens, ni plus récents. Les Anciens n’ont pas tout su, et peut-être la postérité lui saura gré de l’avoir prouvé, c’est la conclusion de la célèbre « Relation des nouvelles découvertes en la science des nombres » envoyée à Carcavy en 1659 (éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 431), dans laquelle il explique et applique sa méthode dite « de descente infinie », fondée sur le fait qu’il n’existe pas de suite infinie strictement décroissante d’entiers naturels et permettant de résoudre tout un lot de problèmes sur les entiers. Respect pour un savoir établi, enthousiasme pour les voies nouvelles de recherche, Fermat est de ce point de vue, comme bien de ses contemporains, un mathématicien 'baroque'. Découvrir des choses « non seulement nouvelles et jusqu’ici inconnues, mais encore surprenantes » (éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 299), voilà qui stimule ses recherches : Ce bel enthousiasme est exprimé avec une plume qui ne manque pas d’élégance.

Dans cet esprit de savoir 'humaniste', Fermat est un inventeur et un virtuose, qui se plaît à célébrer la beauté des théorèmes et des preuves. Mais en privilégiant la démarche esthétique, il rejette en même temps le côté lourd et lassant de la démonstration détaillée.

Le revers de la médaille est la concision excessive des explications. Cette attitude, commune dans les échanges épistolaires des mathématiciens, se  généralise chez Fermat. Il s’en explique par le manque de temps, déjà évoqué, et par sa « pente naturelle vers la paresse » (par exemple, éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 461). Ces arguments, dont le second relève quelque peu de la coquetterie, lui permettent également d’excuser son manque d’intérêt pour les expositions détaillées des preuves ; sa volonté de ne pas le faire aussi, pour ne pas tout dévoiler de ses inventions, ce qui met ainsi en valeur la nouveauté et la beauté de ses découvertes. Tout ceci lui sera vertement reproché, à propos de méthodes qu’il donne à ses correspondants et qui sont mal comprises.

La notion de méthode répond efficacement au souci maintes fois exprimé par Fermat d’un progrès de la connaissance. Et dans cette quête transparaît l’héritage baconien. La science est fondée sur l’expérience et les sens sont premiers. Fermat reprend à son compte la formule du Chancelier Bacon qui figure sur la vignette du frontispice de la première édition de l’Instauratio magna (1620), frontispice qui représente un vaisseau franchissant les colonnes d’Hercule : « Multi pertransibunt et augebitur scientia » (« Ils seront nombreux à passer au-delà et la connaissance en sera augmentée ». Il décline cette phrase sous des versions légèrement différentes, et ceci tout au long de sa correspondance, dès 1636. Le contexte est toujours celui de la recherche de la vérité, et d’un avancement de la science grâce à la discussion et la coopération entre savants. Un point de vue partagé par ses interlocuteurs privilégiés que sont Mersenne ou Roberval.

Comme Bacon, Fermat croit que les découvertes sont souvent contingentes : « Le hazard et le bonheur se mêlent parfois aux combats de science aussi bien qu’aux autres » écrit-il à Digby en 1657 (éd. Tannery-Henry, II, 1894, p. 344). Toutefois, si le hasard peut servir l’heuristique, c’est la démonstration seule qui fournit la vérité que les mathématiques nous procurent, sans laisser la moindre place au doute. Tout en se recommandant de la pensée baconienne, Fermat ne suit pas le Chancelier d'Angleterre lorsque celui-ci prône une mathématique au service de la physique. Car le magistrat toulousain est avant tout géomètre et se retranche derrière la certitude de sa Géométrie, qui « ne se mêle point d’approfondir davantage les matières de la physique » (Fermat à Mersenne, éd. Tannery-Henry, II, p.109).  C’est donc sur son terrain d’excellence, la pure géométrie, qu’il veut gagner les combats.

*

La vie de Fermat s'est déroulée entre Beaumont-de-Lomagne, Toulouse et Castres. Une fois entré dans la vie professionnelle, il n'a probablement pas quitté le sud-ouest de la France, loin de l'effervescence parisienne. Il y a côtoyé un milieu érudit, des hommes partageant les valeurs humanistes de la Renaissance, férus de textes grecs et latins, ouverts aussi à la nouvelle science sans en être des acteurs notables, et peu attirés par les mathématiques. Un monde où sciences et lettres n’étaient pas encore des continents dissociés, et qui a modelé la démarche intellectuelle de Fermat. Sa rencontre avec l'Art analytique de Viète, cette algèbre nouvelle qui a contribué à révolutionner les méthodes mathématiques, lui a ouvert de nouvelles voies de découverte. C'est l'opportunité offerte de dialoguer avec le monde scientifique européen, organisé en un réseau efficace, qui a aiguillonné sa passion pour les mathématiques et lui a permis de se faire reconnaître par ses pairs comme un Géomètre d'exception. Ses successeurs ayant peiné à éditer ses papiers éparpillés, l'image de Fermat s'est voilée après sa mort. C'est surtout par ses résultats en théorie des nombres qu'il est demeuré une figure de la scène mathématique. 

BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE

Œuvres[Pour une bibliographie détaillée et commentée des travaux de Fermat, voir https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres  de_Fermat/I/Avertissement]
FERMAT, Pierre de, Œuvres complètes, éd. P. Tannery et C. Henry, 4 vols et un supplément,
Paris, Gauthier-Villars, 1891-1922.
FERMAT, Pierre de, Œuvres, I, La théorie des nombres, Textes traduits par P. Tannery, introduits et commentés par R. Rashed, C. Houzel, G. Christol, Paris, Blanchard, 1999.
Etudes critiques et de vulgarisation
Pierre de Fermat, Toulouse et sa région, Actes du XXIe congrès d’études régionales, Toulouse 15-16 mai 1965¸ Fédération des sociétés savantes de Languedoc-Pyrénées-Gascogne, Toulouse, avec le concours du CNRS, 1966.
FÉRON Paul (éd.), Fermat, un génie européen, Toulouse, Presses de l’Université des sciences sociales, 2002.
FOUCAULT Didier, « Pierre Borel, médecin et savant castrais du XVIIe siècle », Cahiers du C.E.H.T, n° 7 (1999), Toulouse, Centre d’études d’histoire de la médecine.
GAIRIN Pierre, Fermat et ses ascendants, Beaumont-de-Lomagne, 2002.
MAHONEY Michael S., The mathematical career of Pierre de Fermat, Princeton, Princeton University Press, 1973.
SINGH Simon, Le dernier théorème de Fermat, Paris, Hachette, coll. Pluriel, 1999.
SPIESSER Maryvonne, « Pierre Fermat, profil et rayonnement d’un mathématicien singulier », dans M. Serfati et D. Descotes (dir.), Mathématiciens français du XVIIe siècle, Descartes, Fermat, Pascal, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 167-197.


 


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