14 décembre 2011 : Du néo-classicisme au néo-impressionnisme

Du néo-classicisme au néo-impressionnisme

 Conférence du 14 décembre 2011

Le 19ème siècle fut le siècle de profondes mutations dans tous les domaines. Il vit en effet se succéder des systèmes politiques très différents, aboutissant à l’avènement de la III République en 1870 ; mais il fut également le siècle des révolutions, de 1830, 1848, ainsi que celui de la révolution industrielle (née en Angleterre au 18ème siècle), qui créa en France d’énormes fortunes au profit d’une bourgeoisie aisée, devenue très influente. Parallèlement à tout cela, une nouvelle classe sociale est apparue : le prolétariat.

Dans le domaine littéraire, romantiques et symbolistes illustrèrent ce siècle, mais c’est le roman réaliste qui nous a livré le véritable miroir de l’époque avec des auteurs (Stendhal, Balzac, Flaubert, Maupassant, Zola…), qui se livrèrent entre autres à la dénonciation des travers de la société.

Sur le plan artistique, l’art pictural traversa au 19ème siècle l’un de ses moments les plus complexes et les plus déterminants et nous allons nous intéresser à son évolution depuis le néo-classicisme jusqu’au néo-impressionnisme.

Des peintres néo-classiques tels que David (1748-1825) et Ingres (1780-1867) notamment furent les éminents représentants des critères de l’académisme né au 18ème s. et qui se prolongera jusqu‘au milieu du 19ème. Ce style pompeux, qui doit imiter les maîtres de l’Antiquité et être porteur de messages moraux, se caractérise par un goût pour l’orientalisme (« La Grande Odalisque » Ingres 1814), mais surtout par un goût pour la peinture de sujets historiques (« Napoléon traversant les Alpes » David 1800), religieux (« La Vierge à l’hostie » Ingres 1854, « Le Vœu de Louis XIII » Ingres 1820 ») ou mythologiques (« Le Songe d’Ossian » Ingres 1813).

Viennent ensuite dans un ordre de valeur décroissante : portraits (« Princesse Albert de Brooglie » Ingres 1853), scènes de la vie quotidienne, paysages, natures mortes…

Mais des peintres romantiques, Théodore Géricault (1791-1824), Eugène Delacroix (1798-1863) en particulier, spécialistes eux aussi de la peinture historique, vont commencer à s’opposer à tous ces critères et à exprimer leurs sentiments avec une certaine tendance dramatisante.

Pensons au « Radeau de la Méduse » (Géricault 1819), où le tragique naufrage de la frégate française en 1816 est en outre peint de manière déjà fort réaliste, ainsi qu’à « La Liberté guidant le peuple » (Delacroix 1830) : ici l’héroïne, à la fois femme du peuple et déesse de la victoire, est représentée à demi-nue, tenant d’une main un drapeau, de l’autre un fusil et coiffée du bonnet phrygien, symbole de la Révolution française.

Le réalisme va poursuivre cette opposition aux doctrines académiques du classicisme et va bientôt triompher sur le romantisme.

Camille Corot (1796-1875), membre de l’Ecole de Barbizon (au sentiment plutôt romantique), deviendra l’un des principaux représentants du paysage réaliste. Ll accordera bientôt une grande importance à la peinture en plein air «sur le motif » (« Le Pont de Mantes » 1870), mais aussi aux différents effets de lumière.

Après les soulèvements populaires de 1848, c’est le réalisme social qui connut un grand succès dans toute l’Europe : le mystique Jean-François Millet (1815-1875), membre lui aussi de l’Ecole de Barbizon, afficha son amour de la nature allié à un grand sens de la lumière, et avec « Des Glaneuses » 1857) il nous livre une évocation assez saisissante du pénible labeur des champs.

Quant à Honoré Daumier (1808-1897) ses caricatures, comme celle de « Louis-Philippe en Gargantua » (1831), lui valurent une condamnation à 6 mois d’emprisonnement.

Mais c’est le grand ami du philosophe Proudhon, Gustave Courbet (1819-1877), peintre révolutionnaire artistiquement et politiquement, qui fut le chef de file et le théoricien du réalisme. Lui aussi peignit « sur le motif » avec un goût profond pour les effets lumineux et il créa des images de forte dénonciation sociale. Le réalisme scandaleux d’un « Enterrement à Ornans » (1850) choqua beaucoup les spectateurs du Salon officiel. Quant à son œuvre maîtresse, elle donna lieu à de multiples interprétations : « L’Atelier » (1855) en effet nous offre à gauche la représentation des réprouvés, à droite celle des élus et au centre le peintre lui-même, sorte d’apôtre d’une société nouvelle, que le peintre semble bien appeler de ses vœux.

En tout cas Corot et Courbet notamment vont constituer les modèles dont va s’inspirer à ses débuts :

L’impressionnisme que l’on situe entre 1874 et 1886. Longtemps incompris et honni, il est considéré aujourd’hui comme le mouvement le plus réputé de toute l’histoire de l’art.

 C’est Edouard Manet qui a véritablement ouvert la voie à l’impressionnisme, se rebellant lui aussi contre les grandes fresques historiques et les idéaux moralistes imposés par les rigides conventions académiques. Avec deux œuvres jugées d’une modernité scandaleuse «Le Déjeuner sur l’herbe» (présenté en 1863 au premier « Salon des Refusés ») et «Olympia» (1865), Manet, toujours ardemment soutenu par Zola, affirma le principe de la liberté d’expression de l’artiste devant n’importe quel sujet. Et bien que n’ayant jamais totalement appartenu au mouvement impressionniste, il ouvrit, en partie, la voie aux nouvelles techniques des impressionnistes (influencés par l’invention récente de la photographie), que l’on peut définir ainsi : dissolution des formes, importance de la couleur (claire de préférence sur le modèle des peintres japonais), petites touches juxtaposées, fragmentées, peinture « sur le motif » favorisée par un nouveau matériel, dans le but de capter les vibrations de la lumière et de laisser libre cours aux impressions instantanées, fugitives.

  Avec les impressionnistes l’art entamera donc une révolution en profondeur concernant non seulement les moyens picturaux mais aussi les thèmes mêmes traités par les peintres :

- L’évocation de la nature est à leurs yeux le genre majeur de la peinture, avec parfois d’élégants personnages de l’époque, en plein air, comme c’est le cas avec «Femmes au jardin» (1866) et «Les Coquelicots à Argenteuil» (1873) de Monet, ce merveilleux peintre de la lumière, ou avec l’admirable «Chemin montant entre les hautes herbes» (1875) de Renoir.

  Au sein de cette nature est souvent introduit l’élément de l’eau, thème de prédilection des impressionnistes, l’eau reflétant si bien la lumière  au scintillement fugace. Pensons au «Bateau-Atelier» (1876) que Monet se fera construire à Argenteuil, sur les rives de la Seine, fleuve emblématique de ces peintres.

  Grâce, d’autre part, aux chemins de fer pour passagers (depuis 1840), nos paysagistes se rendaient souvent en Normandie, cette chère région qui leur offrait une combinaison de tous les éléments : le fameux tableau «Impression, soleil levant» de Monet (exposé en 1874 dans l’atelier du photographe Nadar, en marge du Salon officiel) capte magistralement l’ambiance matinale du port du Havre. Ce tableau fut (par dérision) à l’origine du nom et du mouvement impressionniste qui durera 12 ans, jusqu’en 1886, date du dernier  Salon des Impressionnistes.

  En 6 ans le peintre peignit 150 toiles de cette côte normande qui le fascinait tant avec ses fameuses « Falaises d’Etretat » ! Et c’est dans son paradis normand, le jardin de Giverny (joyau aquatique teinté d’un orientalisme très prisé au XIXe siècle), que Monet passera la seconde moitié de sa vie, se consacrant avec passion à sa série des «Nymphéas» : ceux-ci,grâce au soutien de Clemenceau, deviendront le chef-d’œuvre du musée de l’Orangerie.

  La Provence quant à elle et la «Montagne Sainte-Victoire» en particulier furent immortalisées à maintes reprises par Cézanne.

 Le givre, la neige intéressèrent également les peintres comme en témoignent les magnifiques tableaux : «La Pie» (1868) de Monet et «Neige à Louveciennes» (1874) de Sisley.

- Mais les impressionnistes, qui voulaient rendre compte du monde contemporain en pleine mutation (urbanisation, industrialisation…), nous offrirent aussi de fort intéressantes représentations de paysages urbains : pensons au «Jardin de l’Infante» (1867) et au «Boulevard des Capucines» (1873) de Monet, à «Rue de Paris, temps de pluie» (1877) de Caillebotte, au «Boulevard Montmartre» (1897) ou au «Boulevard des Italiens» (1897) de Pissaro : toutes ces toiles expriment l’admiration des impressionnistes pour la Ville Lumière, modernisée sous le Second Empire par Napoléon III et le baron Haussmann, et où régnaient pour certains faste et prospérité.

  Avec «La Gare St-Lazare, arrivée d’un train» (1877) Monet fait de la gare la «cathédrale des temps modernes» et suscite notre admiration devant la marquise filtrant la lumière qui se reflète dans les nuages de fumées bleues au dessus des locomotives. «Le Pont du chemin de fer, Argenteuil» (1873) lui permet de glorifier à la fois le chemin de fer et le pont (en béton et pièces métalliques), symboles du progrès des pays industrialisés, dont la France de la III République.

  Enfin la «Cathédrale de Rouen», superbe édifice du passé cette fois, qui avait tant séduit le peintre anglais Turner, ne laissa pas Monet insensible. Il lui consacra en effet toute une série de toiles, afin de capter tous les reflets de lumière fugitifs, qui caressent à différentes heures ce chef-d’œuvre de l’art gothique.

- D’autre part les impressionnistes, rejetant l’art académique au profit d’une représentation réaliste de leurs modèles, ont peint de magnifiques portraits de famille, comme «Madame Monet et son fils»  (1875) : les vibrations lumineuses, les couleurs chatoyantes, les reflets d’ombre et de lumière, font de ce tableau une sublime synthèse des techniques impressionnistes. Les portraits de Berthe Morisot, tel «Le Berceau» (1872) qui représente sa sœur Edma avec sa petite fille Blanche, seront souvent plus intimistes, au sein d’intérieurs familiaux toujours raffinés. Avec «Lorenzo Pagans et Auguste de Gas» (1869), Degas a représenté son noble banquier de père (de Gas !), absorbé par la musique du guitariste.

  Nous admirons également des portraits d’amis ou de personnalités appartenant la plupart du temps au monde de la bourgeoisie, d’où étaient issus de nombreux peintres impressionnistes. Et d’ailleurs la haute et moyenne bourgeoisie, friande de ces tableaux, les acquérait volontiers pour ses demeures. Renoir quant à lui, immortalisa la fille d’un bijoutier de Napoléon III et épouse d’un éditeur avec : «Madame Georges Charpentier et ses enfants» (1878), ainsi que les filles d’un certain Catulle Mendès, membre du Parnasse, qui sont à l’origine de la série des «Jeunes Filles au piano».

  Mais Renoir, le plus brillant portraitiste du groupe, s’est aussi spécialisé dans les portraits de nus, avec sa série intitulée «Les Baigneuses». Parfois un tableau provoquait un vif scandale, tel «Torse, effet de soleil» (1875), car la caresse de la lumière fut associée à une trop forte impression de sensualité !

- La représentation des loisirs, des distractions de la bourgeoisie parisienne du XIXe siècle, fut aussi l’un des objectifs des impressionnistes : escapade joyeuse et détendue à la campagne, illustrée par «Le Déjeuner sur l’herbe» (1865) de Monet, ou au bord de la Seine comme en témoigne «La Grenouillère» vue par Monet et par Renoir en 1869. Escapade dans les nouvelles stations balnéaires en Normandie, lieu de villégiature de l’aristocratie élégante, sujet du célèbre «Hôtel des Roches noires à Trouville» (1870) de Monet.

  Avec une grande économie de moyens Monet a peint un éblouissant tableau représentant une compétition sportive : «Les Régates à Argenteuil» (1872).

  Les bals publics, les restaurants, fréquentés par des bourgeois et des artistes, constituent le thème de deux illustres tableaux impressionnistes signés par Renoir : «Bal au Moulin de la Galette» (1876) et «Le Déjeuner des Canotiers» (1881) : tous deux traduisent la joie de vivre, l’atmosphère frivole et insouciante de la Belle Epoque, caractérisée par ce véritable hédonisme qui s’était emparé de Paris après la tempête de 1870 et avant le cataclysme de 1914-1918.

  Enfin plusieurs toiles témoignent de la ferveur culturelle et mondaine qui imprégna la vie parisienne de la fin du siècle : «La Loge» (1874) de Renoir pour les amateurs d’opéra, l’importante série de Degas (si peu impressionniste ici !) évoquant le monde de la danse et son idéal de la parfaite beauté («L’Etoile» de 1876 par exemple). Et n’oublions pas que le deuxième sujet de prédilection de Degas était les courses de chevaux, assidûment fréquentées par la haute bourgeoisie durant ses loisirs : «Course de gentlemen. Avant le départ» (1862).

 Par ailleurs les impressionnistes ont beaucoup choqué en peignant des gens simples, certains tableaux (postérieurs à 1848) faisant preuve en effet d’un surprenant réalisme social : c’est le cas pour «Les Moissonneurs» (1873) de Renoir, pour «Les Raboteurs de parquet» (1875) de Caillebotte, qui fut le premier à représenter le prolétariat urbain. Devant «Un bar aux Folies-Bergère» (1881) de Manet nous éprouvons de la compassion pour la jeune serveuse, cette fille du peuple au regard empli d’une incommensurable mélancolie. Le peintre Pissaro aux convictions socialistes n’a-t-il pas tout simplement peint «La Charcutière» (1883) ?

  Quant au grave problème social de l’alcoolisme, il fut traité à la fois par Manet avec «Le Buveur d’absinthe» (1858) et par Degas avec «l’Absinthe» (1875) Celui-ci consacrera également plusieurs séries aux «Repasseuses», «Blanchisseuses», «Modistes»…

  Toutefois malgré ces derniers tableaux, les impressionnistes, souvent complaisants envers la bourgeoisie, n’ont jamais joué un grand rôle de dénonciation sociale, contrairement à de nombreux  romanciers du 19ème siècle, ou  à certains  peintres, surtout réalistes, comme nous l’avons vu.

  Mais à partir de 1880 ce mouvement, dont l’influence s’étendit dans toute l’Europe et jusqu’aux Etats-Unis, commença à s’essouffler et quelques peintres tels que Signac (1863-1935) et surtout Seurat (1859-1891) s’orientèrent vers d’autres voies.

Ce dernier fut en effet le véritable inventeur du néo-impressionnisme (ou pointillisme, avec fidèle application des théories du chimiste Chevreul) et son « Dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte »(1886) est considéré comme une œuvre clé de l’histoire de la peinture.

 Ce mouvement, essentiel pour l’évolution de l’art, sera bientôt suivi de nouvelles formes d’expression : post-impressionnisme, symbolisme, fauvisme, cubisme…

En conclusion l’on peut dire que ce 19ème siècle, si novateur sur le plan pictural, a parfaitement su peu à peu s’affranchir de tous les codes académiques, pour affirmer sa totale liberté d’expression. Ainsi fut-il à même de retranscrire la réalité de l’époque dans sa richesse, sa diversité, sa spécificité, ouvrant  magistralement la voie à l’art contemporain.

Maryse CARRIER

Professeur agrégée d’Allemand (H) 


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