Alimentation et prévention du cancer :

Peut-on prévenir certains cancers en mangeant mieux ?

 Conférence du 10 mars 2010

Par Denis Corpet,

Professeur de nutrition humaine et d’hygiène, Ecole nationale vétérinaire Toulouse

Directeur équipe « Aliment et cancer » de l’UMR INRA-ENVT xénobiotiques.

Dans les pays du tiers-Monde on observe moins de cancers du sein ou du côlon que dans les pays riche, à âge égal. On pourrait supposer que les asiatiques ou les africains résisteraient mieux que nous à ces cancers, en raison d’un patrimoine génétique meilleur. Il n’en est rien, car quand les personnes de ces pays viennent habiter dans un pays riche, ils ont autant de cancers que nous, voire plus. C’est donc bien le mode de vie qui joue un rôle, en particulier l’alimentation. Notre façon de manger joue un grand rôle sur le risque de cancer. Comment le sait-on ? En comparant les cancers qu’ont les gens vivant dans différentes régions du monde. Que faut-il manger, ne pas manger ? Quelle alimentation favorise le cancer, ou en diminue les risques ? Il convient de faire la part entre ce que l’on sait, ce que l’on suppose et ce que l’on ignore encore.

Un consensus sur l’intérêt des légumes et des fruits

On est certain que le nombre de cancers diminuerait si l’on mangeait plus de fruits et de légumes. Toutes les études épidémiologiques – et il y en a eu des centaines, dans beaucoup de pays différents – mettent en évidence leur effet protecteur.

Mais, les végétaux n’ont pas un effet « magique », efficace à tous les coups comme fait l’aspirine contre la fièvre. Ce que l’on observe, c’est que ceux qui mangent le moins de fruits et de légumes, dans une population donnée, ont plus souvent un cancer que ceux qui en mangent le plus : 1,5 ou 2 fois plus de cancers. Pour certains cancers l’effet est fort et très net. Ainsi, ceux qui mangent 400 g de légumes par jour ont 3 à 4 fois moins de cancers de l’estomac que ceux qui en mangent 40 g, et ce sont les agrumes (oranges et citrons) qui protègent le plus contre le cancer de l’estomac. Même chose pour les cancers de la bouche ou du pharynx. Pour d’autres cancers, l’effet des fruits ou des légumes est net, mais moins fort : ainsi les gros consommateurs de légumes ont un risque de cancer du côlon diminué d’un quart environ. Enfin pour d’autres cancers, l’effet est faible, et l’on n’est pas si sûr qu’il y ait protection, notamment contre les cancers du sein ou de la prostate.

 Quels fruits et légumes manger, et combien ? 

 La réponse est : beaucoup, et de tous, au moins 5 fruits ou légumes variés par jour, soit entre 400 g et 800 g de légumes et de fruits. On trouve dans chaque plante un mélange de produits protecteurs qui semblent agir de concert, vitamines, antioxydants, polyphénols… L’ail, l’oignon ou les choux sont aussi actifs que des fruits d’emblée plus séduisants à l’oeil et au goût, au moins dans les études expérimentales.

Avoir une activité physique régulière, et éviter l’obésité

On est certain, également, qu’il est important d’avoir une activité physique régulière : marche, jardinage, travail physique, sport… et, c’est lié, d’avoir un poids « normal », d’éviter l’obésité. Justement ces cancers où l’effet des fruits et des légumes est faible - le cancer du sein qui est si fréquent et le cancer de l’endomètre (la muqueuse de l’utérus) - sont nettement plus fréquents chez les femmes obèses que chez celles qui ne le sont pas. De façon un peu curieuse, le risque de cancer du sein n’est augmenté par l’obésité qu’après la ménopause. L’activité physique protège. Oui, ceux qui « bougent » et se dépensent ont moins souvent que les autres un cancer du côlon, du sein, de la prostate, de l’endomètre. Au total, cela semble une question d’équilibre. Manger trop ou ne pas se dépenser assez favorise nettement les cancers. À quoi cela est-il du ? Pour les cancers hormonaux dépendants, comme celui du sein, on pense que l’excès de graisse favorise un excès d’hormones dans le sang : plus d’oestrogènes, plus d’insuline, qui vont stimuler la croissance des cellules tumorales. Il faut donc que chacun adapte la quantité de calories qu’il ingère aux calories qu’il dépense : une simple question d’équilibre, pas si facile à réaliser à long terme.

L’alcool… peu ou pas du tout.

L’alcool, un autre « aliment » dont on est sûr qu’il agit sur le risque de cancer. L’alcool est un puissant facteur de risque pour les cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, de l’oesophage, mais seulement chez les gros buveurs, et surtout s’ils sont aussi fumeurs. Cependant, même le non fumeur qui boit 1,5 l de vin par jour aura 20 fois plus de risque d’avoir un cancer de l’oesophage que celui qui boit un verre par jour. Pour le cancer du sein également, l’alcool est un facteur de risque. Celle qui boit, en moyenne, trois verres par jour voit son risque de cancer du sein augmenter de 50%. Enfin, l’alcool augmente aussi le risque de cancer du rectum, surtout quand c’est de la bière qui est consommée.

Des aliments sur lesquels il n’y a pas consensus

Les viandes

Les charcuteries et, dans une moindre mesure, la viande rouge semblent augmenter le risque de cancer du côlon et du rectum. L’augmentation du risque est d’un tiers environ pour les plus « carnivores », et elle n’apparaît dans toutes les études. En aucun cas, un tel doute ne doit conduire à être végétarien, car la viande contient des nutriments très utiles. Cependant, il est inutile et peut-être néfaste de manger trop de charcuteries et de viande rouge.

 Notre laboratoire étudie les effets de la viande rouge et des charcuteries. Je donne à manger à des rats un régime à base de viande rouge ou de l’hème pur (le rouge de la viande). Cela augmente fortement la cancérogenèse dans le côlon, par rapport à des rats témoins qui mangent un régime sans hème. J’étudie aussi comment empêcher cet effet néfaste. Si j’ajoute du calcium ou de l’huile d’olive dans l’alimentation des rats, l’hème n’a plus aucun effet néfaste. Mais avant d’extrapoler à l’alimentation humaine, il convient de vérifier que ce qui se passe dans notre intestin est analogue à ce qui se passe dans l’intestin des rats. Si les charcuteries, et à un moindre degré la viande rouge, sont mises en cause dans certaines études, ce n’est jamais le cas pour le poulet ou le poisson : viandes blanches et produits de la mer ne sont jamais des facteurs de risque de cancer. Leur consommation semble même diminuer le risque et protéger contre certains cancers.

Graisses sataniques, fibres bénies ?

Deux autres hypothèses sont très débattues : les graisses favoriseraient certains cancers, tandis que les fibres protégeraient contre ces mêmes cancers. Nombre d’études semblaient montrer que ceux qui mangent « très gras » ont plus de cancers que ceux qui consomment beaucoup de fibres. On a depuis testé expérimentalement ces hypothèses en donnant tous les jours, pendant plusieurs années, un régime maigre et fibreux à des centaines de volontaires. À chaque fois, au Canada, en Australie, aux États-Unis, on a trouvé exactement autant de tumeurs chez les témoins et chez ceux qui mangeaient le régime maigre et fibreux. Il est donc difficile d’affirmer que les fibres prémunissent du cancer. Pour d’autres raisons cependant, il est bon de manger assez de fibres (contre la constipation) et pas trop de graisses (contre l’obésité et pour les artères et le coeur).

Interventions nutritionnelles de grande ampleur : calcium et Su.vi.max

Pratiquement toutes les études d’intervention chez l’homme pour la prévention nutritionnelle des cancers ont été décevantes : pas d’effet, ou trop faible pour affirmer qu’il est dû au produit testé. Notons deux études qui ont donné toutefois un résultat positif, démontrant l’effet protecteur d’un supplément alimentaire. John Baron, en 1999, a montré que chez des patients à qui on avait enlevé un polype dans l’intestin, la prise régulière de cachets de calcium diminuait nettement, dans une proportion de 15 %, la repousse d’un polype. Ces polypes sont des tumeurs précancéreuses, il est donc probable que la consommation de produits contenant du calcium – des produits laitiers par exemple – puisse diminuer le risque de cancer du côlon. L’étude n’a cependant pas porté directement sur des yaourts ou du fromage ; elle n’a pas démontré une réduction des cancers, mais une réduction des polypes.

 L’étude SU.VI.MAX1 de Serge Hercberg, réalisée plus récemment en France, porte sur 13 000 volontaires. Un mélange de vitamines et minéraux « antioxydants » (bêta-carotène, vitamine C, vitamine E, zinc et sélénium à des doses « nutritionnelles ») a été donné à la moitié d’entre eux, l’autre moitié recevant un placebo. Les résultats n’ont curieusement pas montré d’effet protecteur chez les femmes, mais il a été observé un tiers de cancers en moins chez les hommes, ce qui correspond à 37 % de mortalité en moins ! Serge Hercberg ne manque pas de faire remarquer qu’une alimentation équilibrée, riche en fruits et légumes, apporte les éléments testés lors de cette étude.

Recommandations du WCRF, le Fond mondial pour la recherche sur le cancer

Le WCRF est une ONG, un genre de « Ligue contre le cancer » au niveau mondial, qui collecte des fonds pour lutter contre le cancer. Le WCRF a organisé et payé un énorme travail, sur 5 ans, avec quatre étapes qui ont conduit à la publication d’un gros rapport. Dans un premier temps une vingtaine de « méthodologistes » (des scientifiques reconnus) ont mis au point une méthode pour rassembler de façon systématique et efficace des milliers de travaux scientifiques. Puis, pendant 4 ans, une centaine de scientifiques, dans 10 centres, ont analysés les articles sur un des sous-thèmes de l’alimentation et du cancer, en suivant « la méthode » précédemment mise au point, et ils ont rédigé des « revues systématiques de la littérature. Ensuite, pendant deux ans, un panel de 21 médecins et scientifiques, les meilleurs au monde, ont tiré parti de ces rapports, et rédigé le rapport, qui a enfin été relu, jugé, et amendé par 82 « relecteurs » compétents. Ce gros rapport représente donc le travail de deux cents personnes pendant plus de cinq ans. Il fait AUTORITE. Voici un résumé des huit (+2) recommandations que donne ce rapport, pour diminuer le risque de cancer dans le monde :

1- Soyez mince (dans des limites raisonnables)

2- Soyez actif physiquement (tous les jours, au moins 30 min)

3- Limitez aliments ‘denses’ en calories, donc trop gras ou trop sucré. Evitez les boissons sucrées.

4- Mangez surtout des aliments d’origine végétale, en particulier des fruits, des légumes, et des céréales « complètes ».

5- Eviter la consommation de charcuteries. Limitez la viande rouge (moins de 500 g/semaine pour ceux qui en mangent, soit moins de 300 g/semaine en moyenne pour une population)

6- Limitez les boissons alcoolisées (hommes : max.2 verres/jour, femmes : 1 v/j)

7- Limiter le sel, éviter céréales et oléagineux moisis (important en pays tropical)

8- Les suppléments sont inutiles: Les aliments doivent suffire à équilibrer la nutrition

9- Mères: allaitez votre bébé : c’est bon pour lui et pour vous

10- Survivant d’un cancer: ces mêmes 8 conseils sont aussi pour vous.

En conclusion

Oui, fruits et légumes, activité physique, protègent contre les cancers. Peut-être calcium et sélénium aussi. Oui, c’est mieux de ne pas grossir, de consommer peu d’aliments gras ou sucrés, peu de charcuteries, boire peu d’alcool, et ne pas fumer du tout de tabac. Ce faisant, on diminue des deux tiers le risque d’attraper un cancer : incroyable, mais vrai ! On diminue aussi le risque d'autres maladies (cœur, diabète). Mais cet effort doit être celui de toute une société (lois, prix, publicités, sites sportifs), pas seulement un effort individuel. Enfin les autres information, tout le reste qu’on dit, qu’on lit, qu’on entend est peut-être vrai, mais n’est pas démontré !


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