Impressions de voyage
VOYAGE EN TERRES PROVENÇALES
du 12 au 19 septembre 2011
Huit jours seulement, au départ de Toulouse, pour permettre aux 32 participants de ce périple en car de découvrir d'Arles en Avignon les couleurs, senteurs et saveurs de trois parcs naturels régionaux (Alpilles, Lubéron, Mont Ventoux) qui font de ce terroir provençal un milieu d'exception.
Notre guide Patrick, avec la complicité de notre chauffeur Rachid, sût avec talent nous faire partager sa passion et nous révéler les facettes d'un patrimoine naturel et culturel particulièrement riche.
Les paysages, villes et villages, écrasés de soleil ou rougis dans le crépuscule, nous séduirent.
Le Mont Ventoux, Olympe du Vaucluse, et son immense éboulis de calcaire, érigé en réserve de biosphère par l'UNESCO tout comme le Lubéron, sanctuaire inattendu d'espèces ...arctiques (lichen du Groenland, chouette de Tengmalm,...), veille en sentinelle sur la Provence. Au sommet, un caprice du ciel nous gratifia même de quelques flocons de neige voletant dans un vent froid!
Déchiquetées et sauvages, les Alpilles dominent les riches vergers et oliveraies argentées de la plaine, où les haies de cyprès tempèrent les ardeurs du fougeux (mais bénéfique) mistral.
Le Lubéron, fort de la diversité de ses milieux naturels, exerce, pour Henri Bosco, une incontestable "attraction sur la rêverie" avec ses superbes villages au charme suranné. Le contraste des bruits, des horizons et des couleurs est permanent :au calme des vallons autour de Sénanque et des garrigues pierreuses succède l'animation de fin d'été de Gordes ; plus loin, ce sont les falaises sang et or d'ocres de Roussillon qui jaillissent des pinèdes, tandis que les riches plaines du Comtat se fondent au pied des vastes plateaux de Sault, d'Albion et de Valensole, si chers au coeur de Jean Giono.
Au pied des Monts du Vaucluse, au relief karstique très sauvage, naît l'énigmatique Sorgue à l'eau vert émeraude de la fameuse Fontaine de Vaucluse, fréquentée par Pétrarque, -exurgence unique en son genre, hélas à son plus bas niveau en cette fin d'été.
Proches du cours du Rhône, les festons calcaires des Dentelles de Montmirail, se dressent au dessus des vignobles.
Bien différentes apparaissent les étendues plates qui, autour d'Arles, annoncent la Camargue toute proche; les champs y ont les teintes chaleureuses des oeuvres de Van Gogh, tandis que le Rhône commence à libérer son cours dans ces vastes espaces.
Les hommes ont su, dans les siècles passés, développer leur habitat en parfaite harmonie avec l'environnement naturel tout en se protégeant d'agressions fréquentes. Ils y ont façonné une architecture spécifique, essentiellement rurale, source du charme de ces villages pittoresques dont bon nombre sont classés "plus beaux villages de France".
La pierre (la molasse grise, peu gélive) est ici reine et, de la plus petite murette ou modeste borie à l'ensemble architectural (villageois, religieux ou seigneurial) le plus élaboré, tout est harmonie. Le village des bories, à Gordes nous offre une version très aboutie d'intégration du monde pastoral dans un milieu naturel sec et hostile. Il faut aussi citer d'autres trésors de pierre sèche -aiguiers (eiguié), murets (clapié), ruchers (bruscié) et restanques (bancau)- qui se fondent naturellement dans le paysage.
Chaque village ou mas, juché sur un éperon rocheux ou discrètement intégré dans les flancs d'un vallon arboré, est en soi une oeuvre d'art. Quelques-uns de nos coups de coeur ont pour nom : Les Baux, Pernes-les-Fontaines, Cabrières, Saumane, Gordes, Roussillon, Sault, Séguret, Lourmarin, Bonnieux, Lacoste, Menerbes, Oppède-le-Vieux,..La liste en est fort longue! Qu'il s'agisse d'abris sous roche de la préhistoire (Monts du Vaucluse, Pays de Sault,...), d'habitat trogloditique (aux Beaumettes), d'oppida occupésdans l'Antiquitépar les Salyens ou de châteaux et villages médiévaux, la fonction défensive est prioritaire avec portes fortifiées et robustes remparts. Cela nous a valu des parcours pittoresques et difficiles dans le dédale des rues pavées d'antan (les calades), étroites et pentues, riches de fontaines élégantes et stylées (on en compte 38 à Pernes!), bordées de ruisseaux (sorgues) où tournent lentement les roues géantes (comme à L'Isle-sur-la-Sorgue) des anciens moulins et drapiers (paradoux). Les campaniles en fer forgé, finement ciselé, dressés au sommet d'un clocher d'église ou d'une vieille tour, confient au mistral le chant des cloches.
On ne peut s'empêcher d'extraire de cette palette quelques images fortes de sites où le temps semble arrêter sa course.
Gordes, dont la beauté inspira Vasarely, blottit ses demeures en pierre sèche autour d'un éperon rocheux dominant la vallée du Calavon.
Roussillon, la "Delphes rouge" de Jean Vilar, dont le crépi des maisons, par mimétisme avec les falaises d'ocre insolites, se pare d'un large spectre, du rouge sang au jaune d'or, qui tranche sur l'émeraude des pinèdes.
Lourmarin offre la silhouette altière de son château Renaissance, dont Laurent Vibert, mécène industriel fît une "petite Villa Médicis de Provence". Henri Bosco et Albert Camus y ont séjourné et y reposent désormais.
Bonnieux est fier de sa forêt de cèdres importés de l'Atlas marocain en 1862. L'accès difficile au belvédère de l'Eglise et du cimetière, par une calade très pentue, justifie bien le dicton : "à Bonnieux, les morts enterrent les vivants", car les défunts y étaient transportés à dos d'homme...Cette boutade serait tout aussi valable pour d'autres villages visités!
Lacoste, riche des vestiges du Château du Marquis de Sade, bénéficie du mécénat de Pierre Cardin pour la restauration réussie de nombreuses vieilles maisons du village.
Menerbes fût le fief des Vaudois -"les pauvres de Lyon"-, porteurs des dogmes du catharisme occitan, venus s'y réfugier. Ce haut-lieu du protestantisme vauclusien possède un singulier campanile surmonté de... 5 croix! Son actuelle et paisible célébrité est liée à l'un de ses hôtes, Peter Mayle, auteur du best-seller "une année en Provence" . Les très belles maisons du village séduisirent nombre d'artistes dont Picasso et sa muse Dora Maar.
Oppède-le-Vieux, à flanc de montagne, semble endormi avec ses demeures médiévales dominées par les ruines du château. il est bien loin le temps où Jean Maynier en partit en 1545 pour perpétrer le massacre des Vaudois à Mérindol.
Les Baux, dans leur écrin de calcaire blanc, taraudé de carrières, constituent bien une plateforme imprenable, sauf en cas de pénurie d'eau! Les hasards de l'histoire en ont fait un fief de la famille Grimaldi. Au hasard Balthazar, telle était la fière devise des seigneurs locaux que Mistral décrivait comme une "race d'aiglons jamais vassale"! Véritable village-musée, ses ruelles retrouvent tout leur charme en cette fin d'été, avec ses hôtels Renaissance, les vues sur le Val d'Enfer ou la très sobre Eglise Saint-Vincent d'où fusent à Noël les chants dans la nuit étoilée. Il faut aussi, au milieu des catapultes, balistes et trébuchet, venir embrasser du regard, sur le terre-plein du château, l'espace sans limites de la Crau et de la Camargue, 200 mètres plus bas.
L'Isle-sur-la-Sorgue,la "Venise comtadine", construite sur pilotis, cernée de ses canaux et roubines, a préservé une quinzaine de ses roues à aubes (sur 70!) qui activaient moulins à farine, foulons à papier et industries de la laine et de la soie. La pêche et le négoce y était actifs, avec ses bateaux à fond plat, appelés nego-chin (littéralement "noie-chiens"). L'eau est ici omniprésente; nous fûmes même gratifiés d'une brève mais fâcheuse averse lors de notre promenade...La ville est fière de son marché provençal traditionnel et des 300 membres de son "village d'antiquaires" créé en 1978, le deuxième au niveau national. René Char est l'un des enfants de cette ville, refuge de nombreux autres artistes et poètes.
On ne peut, en quelques lignes, évoquer tout ce qui a modelé le patrimoine humain actuel de cette région. Une évidence s'est rapidement imposée à nous : véritable carrefour, la Provence a toujours constitué un des maillons forts du creuset des cultures du bassin de la Méditerranée, comme a pu l'affirmer Fernand Braudel. Au delà des conflits, à la croisée des civilisations, elle nous offre l'éventail de ses traditions culturelles et commerciales. LesGrecs puis les Romainsy ont laissé leurs empreintes indélébiles, en agriculture, art et architecture. Mais qu'auraient été ces apports sans la créativité des autochtones -les Salyens celto-ligures-, de mieux en mieux connus? En Arles, le Musée de l'Arles Antique nous offrit d'emblée une vue synthétique de cette "petite Rome des Gaules", avec son lot de vestiges prestigieux (sarcophages, mosaïques, objets et bustes -dont la copie de la Vénus d'Arles) et de maquettes soignées des édifices antiques. Véritable musée à ciel ouvert, la ville, très animée, nous donna la mesure de ce qu'elle fût dans l'Antiquité avec la visite du Théatre, des Arènes et des Thermes de Constantin, suivie de l'évocation des Cryptoportiques, des Alyscamps, du Cirque et du Pont à bateaux (tous deux disparus aujourd'hui). A l'appui de ces témoignages, la visite du Glanum et des Antiques (Mausolée des Julien et Arc municipal) à Saint-Rémy-de-Provence fût édifiante, car on y est face au sanctuaire des trois cultures pré-citées : glaniques celto-ligure, héllène et romaine.
La découverte d'Arles, ville d'art et d'histoire, nous offrît aussi des images plus récentes de son patrimoine avec ses hôtels particuliers, au charme discret. Dans la cité, flotte dans les jeux d'ombre et de lumière des ruelles et des patios cette poésie que sût notamment exprimer avec tant de talent et d'exaltation le génial Vincent Van Gogh.
Les religionsjouèrent aussi un grand rôle en Provence. Que d'édifices et de témoignages nous l'ont rappelé! L'implantation paléochrétienne, puis les influences maures, rapidement relayées par les dérives séculières du clergé et, par réaction, la construction d'abbayes, prieurés et chapelles souvent d'une rare sobriété. Puis apparût la dissidence de la Papauté, venue s'installer en Avignon. Vient ensuite la Réforme et son lot de conflits très durs (dont l'épisode des Vaudois du Lubéron) qui opposèrent parfois deux villages voisins (Bonnieux catholique et Lacoste protestante). Dernier volet de ce tableau : l'asile accordé aux Juifs dans des quartiers-ghettos urbains (les carrières) du Comtat, lors de leur expulsion du royaume de France. Tout cela forge nécessairement l'identité d'un pays.
L'architecture religieuse nous offrît quelques repères forts. Le premier art roman naquît au lendemain des troubles qui succèdèrent à la chute de l'empire romain. Nombreuses sont les chapelles et églises qui, autour de l'an mil, ont discrètement élevé dans les garrigues leurs voûtes sur des nefs sans ouverture. Les structures s'allègèrent ensuite, la lumière s'installant dans des espaces décorés de fresques à l'antique. Saint Trophime d'Arles, Montmajour, Sénanque et Saint Pierre de Mausole nous ont particulièrement séduits.
Le portail de Saint Trophime, avec son ordonnancement à l'antique autour du Jugement dernier, par sa forme en arc de triomphe et la richesse du décor sculpté, tranche avec l'austérité de la façade; il nous rappelle celui de Saint Gilles; tous deux, en ce 12 ème S., se révèlent encore très influencés par la tradition romaine ; nous ne pûmes (hélas...) pas visiter le merveilleux cloître attenant.
Dominant la plaine d'Arles, l'Abbaye de Montmajour se révèle d'emblée duale, pour partie médiévale et bénédictine (8ème puis 12ème S.) -la mieux restaurée- et, pour partie du 18 ème S. sur les fondations d'un bâtiment effondré. Cette aile fût victime des sévices de la Révolution et des vandales, jusqu'au rachat par l'Etat qui ne restaura que l'aile ancienne!
Chaque élément -église, crypte, cloître et son bestiaire symbolique, salle capitulaire- est un chef d'oeuvre. L'accès au sommet de la tour de l'Orme (124 marches!) nous a gratifiés d'un superbe panorama, des Alpilles à la Crau et aux Cévennes. L'architecture romane révèle sans cesse ses références antiques et la pénétration temporaire des Maures. La visite s'est enrichie de l'exposition de photos et d'affiches organisée, chaque été, dans le cadre des Rencontres Internationales de la Photographie d'Arles.
Sénanque est un ensemble magique, indissociable des deux autres joyaux (abbayes de Silvacane et du Thoronet) de la trilogie cistercienne provençale. L'Abbaye austère et paisible, nichée dans son écrin de lavande, y héberge depuis 1988 une petite communauté de 8 moines, de retour de Saint-Honorat (Iles de Lérins) où ils s'étaient repliés en 1969. Ils y observent une vie très stricte de prière, de méditation et de travail manuel agricole, secondés par des frères convers; En ces lieux, "si la parole est d'argent, le silence est d'or...". Après une période d'expansion, incompatible avec le voeu de pauvreté de la règle de Saint-Benoît, l'Abbaye se dépeuple, frappée par le mouvement des Vaudois (2 moines seulement y survivent à la fin du 17 ème S.) et par la Révolution; ensuite, elle fût, par bonheur, sauvée puis rachetée en 1854 et agrandie : 72 moines y vivent alors!. Sénanque assume aujourd'hui pleinement son destin de sanctuaire monacal et de centre culturel
L'église, dépourvue de toute décoration, est orientée à l'est, à cause du relief local. Tout y est conçu pour la prière et la méditation. Ainsi, le vaste dortoir doté d'une voûte en berceau brisé de pierres autobloquées, peu éclairé par un oculus, est dans la continuité du transept de l'église dont la nef possède trois travées. Pureté des lignes, continuité des perspectives, absence de figuration humaine (sauf une statue de la Vierge Marie) : les mêmes observations s'appliquent à l'agencement du cloître, superbe de sobriété. Seul le scriptorium est chauffé dans le monastère tandis que la salle capitulaire accueille les moines autour du Père Abbé pour la lecture d'un chapitre de la règle de St Benoît et les discussions sur la vie quotidienne; ici seulement, les moines peuvent parler!
Toutes les petites chapelles, prieurés et églises romanes, aperçues durant le voyage, mériteraient une mention pour leur esthétique, leur conception et leur symbole...
Autre cité d'exception sur le plan religieux, Avignon nous accueillit sur le chemin du retour pour une incontournable mais trop brève escale. Le tour de ville nous permît d'abord d'apprécier la ceinture des remparts du 14ème S., longs de près de 4,5 km, ponctués de 12 portes et de 92 tours, qui enserre le dédale des rues de la Cité des Papes. Le célèbre Palais des Papes reçut ensuite notre visite, ainsi que le Rocher des Doms, oasis de verdure surplombant le Rhône et le fameux Pont Saint Bénézet. L'arrivée sur la Place du Palais est toujours un instant émouvant, face à l'ampleur de l' architecture de cette véritable citadelle des Papes. Las de l'ambiance délétère de Rome, le Pape Clément V choisit en 1305 de se fixer dans ses terres du Comtat Venaissin. C'est, en fait, le Pape Jean XXII qui installa la papauté en Avignon, de 1309 à 1377. 7 Papes -tous français- s'y succèdèrent! Benoît XII fît édifier le Palais en 30 ans. La persistance de querelles conduit Urbain V à rejoindre Rome en 1367, dont il revient en 1370. Grégoire XI quitte définitivement Avignon en 1376. Suit la période du Grand Schisme où Papes, Antipapes et Légats se disputent le pouvoir. A partir de 1417, Avignon est gouverné par un Légat, puis par un Vice-légat du Pape romain jusqu'à la Révolution.
Proposons seulement un survol rapide des lieux, d'une superficie globale de 15.000 m2! La Cour d'Honneur est suivie du Consistoire (lieu de réunion des Cardinaux), qui débouche sur le superbe cloître de Benoît XII à partir duquel on accède au Grand Tinel (Salle des Festins de 500 m2), jouxtant la cuisine haute (et son immense cheminée) et la Chapelle St Martial décorée des fresques de Matteo Giovanetti. Suivent la Chambre de Parement (pièce des entretiens secrets du Pape) et sa Chambre, aux remarquables décorations murales, animales et végétales, sur fond bleu. La Chambre du Cerf, cabinet de travail de Clément VI, est connue pour ses fresques de scènes profanes. Y font suite la Grande Chapelle Clémentine, où se célébrait la messe pour les cardinaux en conclave, puis une fenêtre d'indulgence donnant sur la Cour d'Honneur, d'où le pape bénissait les fidèles. Enfin, dans la magnifique Salle de la Grande Audience, séparée en deux nefs, siégeaient les 13 juges écclésiastiques des "grandes causes".
Une brève incursion au Rocher des Doms puis sur la Place de l'Horloge, célèbre pour son Jacquemart et la foule de festivaliers et de saltimbanques qui la peuple en juillet, précéda notre départ vers une sympathique ancienne bergerie où nous avons dégusté les derniers plats aux saveurs locales du voyage.
Tout au long du périple, se levait chaque jour un peu plus le voile des traditions locales, et s'affirmaient le charme des villages et le poids de la culture. Parmi les visites et pauses majeures, ce fût d'abord celle, très emblématique, du Moulin de Daudet à Fontvielle, immortalisé par l'oeuvre du conteur, dont deux belles évocations nous ont été proposées d'abord dans un domaine provençal, près de Tarascon, puis au Paradou, village miniature, où près de 400 santons peuplent un ensemble remarquable d'édifices et de scènes de la Provence traditionnelle, à l'échelle 1/6 ème.
La visite de l'Usine d'ocre Mathieu à Roussillon nous fît découvrir l'extraction, les étapes de purification et les traitements du précieux pigment naturel. Le Conservatoire des Ocres et de la couleur nous apparût comme une véritable caverne d'Ali Baba pour l'artiste peintre et un objet de fascination pour l'amateur.
De leur côté, les marchés de Provence, à l'ombre des platanes et des micocouliers, proposent des étals de produits du terroir, véritables cornes d'abondance, rivalisant de couleurs, de fragances et d'arômes mêlés. Une malencontreuse averse -qui se limita par bonheur à la matinée- nous gâcha quelque peu la flânerie dans le marché de l'Isle-sur-la-Sorgue, très connu dans la région.Tout y est tentation avec, en prime, la faconde des chalands à l'accent chantant.
Le plaisir des yeux au marché prépare, en fait, à celui des papilles. Chacun pût ainsi apprécier, dans l'ambiance conviviale de salles souvent très bruyantes, les subtiles saveurs des plats, agrémentés des fameuses herbes de Provence, d'olives et d'épices. L'aïl est l'accent de la cuisine locale ; il fait chanter la soupe au pistou, les tomates à la provençale, la daube, la ratatouille, les tians et les artichauts à la barigoule... ou il réveille une simple salade verte.
De l'olivier, symbole fort du Midi, on apprît, lors d'une visite-dégustation au moulin de Maussane, le soin apporté à son exploitation et à la production d'huiles très réputées au pied des Alpilles. Le volet des nourritures terrestres s'enrichît encore quand on s'arrêta à Apt, capitale mondiale du fruit confit, -que la gourmande Marquise de Sévigné comparait à un "chaudron de confitures"-; une dégustation généreuse d'exquises douceurs confites aux parfums subtils combla nos papilles. Les vins, enfin, ne pouvaient être ignorés. La visite d'une cave dans le fief des Côtes du Rhône, aux noms évocateurs (Gigondas, Vacqueyras, Cairanne,...), nous permît, au cours d'une agréable dégustation, d'apprécier la savante alchimie des mélanges de jus.
La saison était hélas trop avancée pour espérer contempler les rangées de lavande en fleur, mêlant au coeur de l'été leur bleu profond aux jaunes de l'épeautre (le "blé gaulois") à nouveau cultivé sur le Plateau de Sault. On apprît que le rustique lavandin, issu du croisement des lavandes fine et aspic, n'était pas seulement une lamiacée odorante, mais avait aussi, outre ses vertus anti-inflammatoires, contribué à anéantir la terrible peste de 1720.
Dresser un bilan de ce voyage, c'est d'abord rappeler qu'il constituait une sensibilisation à la découverte d'un terroir authentique, riche d'une Nature contrastée -tantôt généreuse, tantôt avare de ses ressources-, de traditions préservées, d'une culture complexe dont les composantes se sont harmonisées au fil des siècles. C'était ensuite s'efforcer de donner envie d'y revenir pour approfondir la connaissance des joyaux d'un patrimoine à peine effleuré. En effectuant ce voyage, on cherchait, enfin, à s'affranchir des apparences trompeuses et superficielles délivrées sur une certaine Provence prise en otage par un tourisme de consommation et d'argent. Nous avons pu, me semble-t-il, nous rassurer en ayant souvent eu l'impression de relire ou de revivre des pages classiques de Mistral, de Daudet, de Pagnol, de Bosco, de Giono ou de tel autre félibre célébrant avec talent, naturel et passion cette Provence "vraie" immortalisée dans leurs écrits. Sous un soleil particulièrement généreux (trop même!) et un mistral assez discret (ce qui est rare), on comprît bien le choc émotionnel de nos peintres devant leur chevalet.
On soulignera enfin l'excellente atmosphère et la convivialité qui régnèrent dans le Groupe, durant cette évasion en terre provençale.
Texte et photos de Francis Dabosi