LE DANUBE DES HABSBOURG
Impressions de croisière
(24-31 mai 2008)
38 participants se retrouvèrent très tôt à Blagnac pour rejoindre Budapest, la perle du Danube, où nous attendait l’Amadeus Classic pour une croisière d’une semaine sur le Danube, de Budapest à Linz.
Dès l’arrivée, sous le soleil, le déjeuner à la brasserie Karpatia préfigure l’ambiance chaleureuse de l’accueil sur le bateau, amarré près du Pont des Chaînes (Szechenyi). La couleur de l’eau, douteuse, ne retrouve, dit-on, son bleu légendaire qu’après dix jours sans pluie dans les Alpes…
Budapest, née en 1873 de la fusion de Buda, de Pest et d’Obuda, illumine, le soir, de myriades de spots ses neuf ponts, les collines du Mont Gellert et du Buda médiéval et la plaine de Pest.
Le tour de ville, effectué en car, nous révèle les facettes de cette superbe et éclectique métropole, riches des empreintes liées aux invasions, cultures, religions et pouvoirs successifs et du métissage des Magyars d’Etienne Ier dès 896. L’Aquincum romain (ak-ink, eaux abondantes en celte) annonce la culture des bains de cette ville aux 123 sources, accentuée par les Ottomans : Bains Gellert, Kiraly, Lukas, Rac, Rudas et Szechenyi, le plus récent, aux décors néo-baroques. Les ponts de Budapest ont aussi leur personnalité : le robuste Pont Szechenyi, premier lien entre Buda et Pest ; l’élégant Pont Elisabeth; le Pont Petofi, le plus modeste ; le couple original des Ponts Arpad et Marguerite.
Les vestiges des conflits témoignent des difficiles compromis nés du choc des cultures. A Budapest, comme à Bratislava ou à Vienne, nos guides nuancent souvent notre analyse parfois trop primaire des faits, avec la subtilité de leur pensée slave, si éprouvée dans le passé. A travers les fastes des églises visitées –St Etienne, St Mathias aux tuiles multicolores,… - on perçoit la ferveur magyare, surtout chrétienne mais tolérante, courageuse et créative ; ainsi les Juifs disposent de deux synagogues dont la plus grande d’Europe, de style byzantino-mauresque. Cette ferveur se nourrit d’un vigoureux patriotisme face aux invasions (mongole, ottomane ou autrichienne), au compromis austro-hongrois, au Second Conflit Mondial et au communisme. La Hongrie entre dans l’Union Européenne en 2004.
Le Château Royal, créé au 13è.s. par Béla IV, agrandi sous Marie-Thérèse, endommagé en 1945 puis reconstruit, abrite la Bibliothèque Nationale et plusieurs des dizaines de Musées de Budapest ; près de 25 théâtres et une dizaine de bibliothèques sont autant de motifs de visites ultérieures… L’urbanisation moderne est réussie, telle l’élégante Andrassy nut qui débouche sur la Place des Héros, dont le Monument du Millénaire domine les sculptures de célébrités hongroises. La ville s’est dotée d’un superbe Opéra pour concurrencer Vienne, l’éternelle rivale !Pest est riche en édifices baroques et modernes ou d’un style Art Nouveau, inspiré des traditions persane et hunnique ou proche de Gaudi ; autour de Roosvelt ter, l’Académie des Sciences, le Palais Gresham et les hôtels de luxe forment avec le Parlement néo-gothique une belle brochette. Secrète dans ses ruelles médiévales, résidentielle autour du Bois de la Ville et sur les coteaux, Budapest est débordante de vie autour de la célèbre Vaci utca. Sur la Place Vorosmarty, le fameux Salon de thé Gerbeaud fût, dès 1858, le rendez-vous de l’aristocratie de la Belle Epoque …et des gourmands, flattant leurs palais avec son esterazy ou son gerbeau, succulentes pâtisseries locales. Une promenade dans le Bois de la Ville (Varosliget), lieu de loisir et de détente en famille, permît d’admirer le Château de Vajdahonyad, sous l’œil énigmatique d’Anonymus, chroniqueur du Roi Bela. Toucher son stylo porterait, dit-on, chance dans les études…
Bien d’autres lieux seraient à citer : le gigantesque Marché Couvert, de style Baltard; l’une des Gares, réalisée par Eiffel, ou encore les bâtiments et boutiques à la mode autour de Vaci utca , cocktail d’architecture moderne, néo-classique et Art Nouveau, vestiges de l’Art Déco et du Bauhaus.
La visite du Château Royal de Gödölö, résidence préférée de Sissi, nous révèle sa vie qui fût, en fait, assez différente des images véhiculées par les média…On imagine bien l’atmosphère feutrée qu’y trouvait Sissi, passionnée d’équitation, loin des fastes du Hofburg viennois.
Nous quittons Budapest pour nous rendre en car à Szentendre puis à Esztergom où l’Amadeus nous rejoindra, en amont du coude que fait le Danube à Visegrad, résidence royale de 1308 à 1361..
Le site de Szentendre, charmante bourgade d’artistes, est fréquenté dès le néolithique. La cité actuelle, aux ruelles tortueuses, a été fondée par des popes orthodoxes serbes fuyant les Turcs. La colline aux sept clochers abrite de très nombreux musées et galeries d’art : un pour 500 habitants ! Celui de Margit Kovacs ne comporte pas moins de 200 objets en céramique incrustée d’émaux ,alliant modernisme et folklore hongrois. Sur la place principale (Fö ter), bordée de bistrots et de boutiques, fût érigée en 1763 une croix par les Serbes reconnaissants d’avoir été épargnés par la peste.
Esztergom, capitale hongroise du 10è. au 13è.s. vît naître (vers 970) puis couronner (en 1000) Etienne Ier. 10 ans plus tard, la Cathédrale, berceau de l’Etat et du christianisme hongrois, s’y dresse au sommet de la falaise dominant le Danube. La ville et l’Archevêché, rayés de la carte par les Turcs en 1543, ne renaissent qu’au 19è.s. avec la Basilique néo-classique St Adalbert dont la coupole du Dôme central s’inspire de St Pierre de Rome. La Chapelle Bakocz (16è.s.) en marbre rouge est intégrée à l’édifice. Le Trésor est riche de plus de 400 objets d’orfèvrerie et de vêtements rarissimes. La crypte abrite les tombeaux des cardinaux hongrois dont celui du Cardinal Mindszenty, héros de la Révolution de 1956. Depuis 2001, le Pont Maria Valery relie Sturovo, sur la rive gauche slovaque, à Esztergom.
La croisière se poursuit de nuit. Tôt le matin, l’ Amadeus apponte à Bratislava (ex Presbourg), jeune capitale de la Slovaquie (1993), intégrée à l’Union Européenne en 2004. Les Slovaques, 300 ans après leur implantation, forment d’abord avec les Tchèques la Grande Moravie. De l’invasion magyare (11è.s.) jusqu’à 1918, leur histoire se confond avec celle de la monarchie austro-hongroise ; les Habsbourg les annexent au 16è.s.! Le destin de Bratislava, noeud stratégique et économique dès l’Antiquité, est singulier : échappant souvent aux invasions barbares et ottomanes, les Slovaques ont été contrés par les puissances voisines ; il est fait d’ alliances, compromis, fusions et démantèlements successifs conclu par la révolution de velours (libératrice du joug de l’Est) avec Vaclav Havel …
On découvre, dans le Centre historique une ambiance chaleureuse où se perpétue le corso : aller et venir pour voir…mais surtout pour être vu ! Soulignée avec émotion par notre guide locale, cette exubérance est, en fait, l’expression spontanée d’une richesse inestimable retrouvée : la liberté !
Face au Palais Primatial, néo-classique de la fin du 18è.s., siège du Parlement et d’un Musée, se dresse le Palais présidentiel Grassalkovitch; l’ancien Hôtel de Ville (1325), aux tuiles multicolores, avec sa cour dallée, ceinte d’arcades et d’une tour d’horloge, donne sur la Grande Place Kutscherfeld, très animée. Les immeubles, renaissance ou baroque, reflètent la vitalité du port fluvial. Dominée par le Château fort (Hrad), la Vieille Ville est fière de sa Cathédrale gothique St Martin, à 3 nefs, qui a remplacé au 14è.s. l’édifice roman de 1221. 11 Rois et 8 Epouses Royales (dont Marie-Thérèse) y furent couronnés, ce que rappelle la lourde couronne dorée juchée sur la pointe du clocher. Il faudrait encore citer la vieille Porte St Michel ou les statues insolites, chargées d’humour: Napoléon attentif accoudé à un banc, un soldat jaillissant d’un égout, un paparazzi scrutant l’horizon au détour d’une rue,…Ville culturelle, Bratislava possède un Opéra avec Orchestre Philharmonique, un Théâtre National, de nombreux Musées et organise depuis 1960 la Biennale Internationale de l’Illustration. Elle a créé la première Université hongroise (15è.s), devenant même capitale de ce pays (sous le nom de Pozsony) à la chute de Buda en 1541. Ville-clé des Habsbourg, elle s’affaiblît avec le retour du pouvoir à Buda, suite à l’échec des Turcs devant Vienne. Elle est enfin fière de la silhouette futuriste de son Nouveau Pont suspendu. Au final, on saisit mieux l’histoire complexe de cette ville, les atouts de son rayonnement et les convoitises de ses grandes sœurs du Danube (Vienne et Budapest).
L’Amadeus met, l’après-midi, le cap sur la région de la Wachau. On aperçoit sur les flancs très boisés de la vallée autrichienne plusieurs bourgs fortifiés : Hainburg où naquit Haynd, Petronell-Carnuntum, fief de la Pannonie romaine. Wagram et Essling ( proches de la rive gauche) ou l’île Lobau sont aussi des noms célèbres de cette voie historique millénaire de l’Europe Centrale. Voici à présent l’écluse de Wien-Freuenau et la plus récente (1997) des 9 usines hydroélectriques du Danube, puis Vienne que l’on visitera en fin de croisièret. La vallée s’étrangle entre les collines du Waldviertel , au cœur de la romantique Wachau ; La région doit son inscription au Patrimoine de l’UNESCO en 2000 à l’harmonie des vignobles en terrasses, des vergers d’abricotiers, des villages hérissés de clochers baroques aux teintes délavées (Krems, Dürnstein, Spitz, Weissenkirchen), des citadelles médiévales et des demeures fleuries, restaurées avec soin ; même le Danube nous paraît plus clair…
Notre halte à Weissenkirchen se signale par la silhouette massive de l’église fortifiée gothique et son long escalier d’accès couvert. A l’auberge Teisenhofer Hof, nous dégustons…vers 9h30 (un peu tôt à notre goût !) trois crûs de cépages blancs au bouquet délicat. Un trio de musiciens en habits de circonstance crée l’ambiance weinstub, typique de l’art de vivre local. Vers 100 av. J.-C., les Faviani auraient implanté la vigne dans la Wachau, bénéficiant d’un microclimat continental atténué par le Danube Le commerce du vin s’est alors établi avec l’amont ; en retour sel et fer y affluaient.
Le bateau repart pour Melk ; au fil de l’onde, une multitude de villages et de châteaux forts (Hinterhaus, Aggstein, Schönbühel), chargés de légendes, sommeillent au soleil. Ici, c’est le Château Küringer où Richard Cœur de Lion, emprisonné en 1192 par Léopold V, aurait été libéré par son fidèle troubadour Blondel. Plus en amont, Willendorf veille sur la statuette d’une Vénus, datée de –25.000 . Vers Melk, le décor romantique a inspiré l’épopée du trésor des Nibelungen..
Nous voici donc en Basse-Autriche. Dominant le Danube, l’ensemble abbatial bénédictin de Melk le plus complet du baroque autrichien, doublé d’un Centre culturel européen, est inscrit en 2000 au Patrimoine de l’UNESCO. Le château (disparu) des Babenberg serait le Medelike des Nibelungen. En 1089, l’abbaye créée par Léopold II fît de Melk le pôle culturel et spirituel de l’Autriche ; l’activité monacale s’y perpétue en pédagogie, spiritualité, économie, culture et tourisme. Le commerce du vin, du sel et du fer y a prospéré au Moyen Âge et, au 15è.s., l’Abbaye s’est ouverte aux lettres, à la musique et aux sciences avec les humanistes de Vienne. U.Eco a récemment retenu Adso de Melk comme héros de son livre Au nom de la rose.
L’Abbaye baroque actuelle (1702-1738), bâtie sur les ruines du couvent incendié par les Turcs en 1683, est due à J. Prandtrauer et à son élève F. Munggenast. Une cour, avec les statues de St Léopold et St Coloman, précède la cour des Prélats, entourée de bâtiments aux façades chargées de statues des prophètes ou symbolisant les vertus cardinales. Dans les Appartements de l’Empereur, des portraits royaux meublent une galerie de 200 mètres ! Le Musée, à la fois moderne et sobre, s’inspire des règles de St Benoît. Quelques beaux spécimens du trésor liturgique en rehaussent l’ensemble. Que signaler encore? La Salle de Marbre aux pilastres rouge-brun et son immense peinture allégorique de P. Troger? La superbe terrasse sur le fleuve? La Bibliothèque, ses 100.000 volumes et 2.000 manuscrits rares? L’escalier baroque en colimaçon avec grille rococo menant à l’église? Ou cette dernière, avec ses deux tours jumelles et sa coupole octogonale, typiquement baroque avec sa profusion de peintures, fresques, marbres et dorures, allégés cependant par des murs ajourés et de grands pilastres cannelés ?
Une pause dans le parc boisé clôture l’étape de Melk ; l’Amadeus appareille en soirée pour Linz, point le plus amont de la croisière. Ce soir, un karaoké est au programme ! un jeu apprécié par les uns ; un alibi permettant à d’autres de retrouver plus vite un lit réparateur des fatigues du jour…
Le débarquement à Linz sert de prétexte à une escapade en car à Salzbourg. Nous traversons la Salzkammergut dont le sel puis le tourisme ont fait la fortune. Dans la vallée de la Traun –l’une des grandes routes du sel-, voici le château d’Ort et les arêtes de l’Erlakogel.. Gmunden est campée au bord du Traunsee, profond de 191 m.; puis, Traunkirchen franchi, on suit le lac jusqu’à Ebensee pour atteindre Bad Ischl, célèbre pour des fastes du règne de François-Joseph et sa vie mondaine prisée des artistes et des têtes couronnées; le Château Impérial, propriété des Habsbourg dès 1419, garde le souvenir de Sissi qui ne revînt jamais d’un voyage à Genève où elle fût assassinée, mi-juillet 1898.
Voici Saint Wolfgang ! Cette bourgade romantique aux pimpantes maisons fleuries est célèbre pour son pèlerinage et pour l’Auberge du Cheval Blanc, sise au bord du Wolfgangsee et non au Tyrol comme l’ont prétendu certains librettistes ! Des calèches stationnent au pied de l’imposante église qui a succédé à l’ermitage bâti par St Wolfgang, évêque de Ratisbonne, en quête de solitude. L’édifice jouxte le Prieuré du 16è.s.. L’afflux de touristes nous permît à peine d’apercevoir le retable gothique de M. Pacher ; T. Schwanthaler, chargé de lui substituer un retable baroque au goût du jour, s’ingénia, dit-on, à réaliser une œuvre médiocre pour ne pas porter ombrage au superbe travail de Pacher !
Saint Gilgen, proche de Salzbourg, offre l’un des plus fameux panoramas du Salzkammergut : le massif du Schafberg (1783 m.) avec son hôtel d’altitude que dessert un chemin de fer à crémaillère.
Salzbourg !Ce sont d’abord, sur les rives de la Salzach, de nombreux clochers que dominent le Mönschberg, le Kapuzinerberg mais surtout le rocheux Festungsberg avec la forteresse de Hohensalzbourg, symbole de la puissance des princes-archevêques instaurée dès 700 par St Rupert et confortée en 1278 par le statut de Principauté du Saint Empire Romain Germanique. Cette ville, enrichie par le sel du Salzkammergut et le marbre de l’Unterberg, est marquée par la culture et l’architecture italiennes des Médicis. Don du ciel enfin: la naissance de Mozart, en 1756 ! Salzbourg, lente à en reconnaître le génie, ne lui élèvera une statue…qu’en 1842, créant alors le Mozarteum puis, seulement en 1920, le Festival, qu’honora H. von Karajan, lui aussi natif d’ici. Intégrée à l’Empire austro-hongrois en 1816, la ville épouse le destin des Habsbourg jusqu’en 1919, à la création de la République d’Autriche. Elle se relève ensuite rapidement des dommages du Second Conflit Mondial.
La visite de la ville ancienne est perturbée par la préparation de la toute proche Coupe d’Europe 2008 de Football. Rive droite, le Jardin Mirabell valorise le Palais des Congrès, les Théâtres et le Château que le Prince-Archevêque Dietrich édifia pour sa maîtresse Salomé… Dédale de vieilles rues aux maisons hautes et colorées, édifices prestigieux : tel est le cœur du Centre historique, rive gauche, inscrit au Patrimoine de l’UNESCO en 1997. On admire l’unité architecturale de la Place de la Cathédrale, reliée par des portiques aux anciens Palais ecclésiastiques. Le style Renaissance italienne tardive résiste difficilement à la poussée baroque ; notamment sur la façade ouest ou à l’intérieur de l’édifice. Le Cimetière St Pierre est adossé à la paroi du Mönschsberg, curieusement creusée de catacombes. La cour de l’abbaye et l’ancienne basilique romane St Pierre, plusieurs fois remaniée, précèdent l’accès à l’église des Franciscains, romano-gothique. Le déjeuner nous est servi, dans l’une des grandes salles (hélas trop bruyante) du fameux Restaurant Stifkeller St Peter. Residentplatz, toute proche, dotée d’une belle Fontaine de Triton et d’Atlas, est bordée par la Cathédrale, par l’imposante Résidence des Princes-Archevêques, bâtie en 1595 par Dietrich à la place d’un édifice du 12è.s.et par le Glockenspiegel (1735)égrenant toujours les sonorités de son carillon de 35 cloches..
La Maison Natale de Mozart se révèle assez décevante ; l’aménagement minimaliste de l’appartement-musée et le modernisme des thèmes choisis sont plus ou moins appréciés. Un intermède musical aurait assurément été mieux reçu…Nous sommes dans la Getreidegasse, l’une des artères les plus vivantes du vieux Salzbourg, avec ses immeubles de 5 à 6 étages. De très belles enseignes en fer forgé ou aux dorures rutilantes et des fenêtres richement sculptés confèrent un cachet particulier aux boutiques très mode. Judengasse, autre rue fameuse, nous rappelle que nous sommes au cœur de l’ancien quartier juif près de l’Hôtel de Ville et de la Place du Vieux Marché, avec sa Fontaine de St Florian et la Pharmacie dont on a su sauvegarder l’intérieur rococo. Moment exquis à la terrasse du Café Tomaselli ou Fürst pour déguster une friandise locale : mozartkugeln, salzburger nockerln….
Un séjour plus long nous aurait réservé bien d’autres bonheurs : la découverte de la forteresse, l’abreuvoir municipal monumental, la visite des Palais, un simple moment musical…
Le retour vers Linz se fait par l’autoroute, à l’ouest du Salzkammergut, en longeant le Mondsee puis l’Attersee, le plus grand lac de la région. L’Amadeus nous attend à l’appontement de Waltsee pour mettre le cap sur Vienne, où nous vivrons, le lendemain, la dernière journée de notre voyage.
Le site de Vienne, (la celtique Vindobona), est investi en 15 av. J.-C. par une légion romaine dans cette province de Pannonie, aux frontières de l’Empire ; la ville n’a cessé ensuite –tout comme Budapest- d’attirer la convoitise des grands Empires. Aux invasions barbares succède un grand essor à partir du 12è.s. avec les Babenberg puis surtout, entre 1278 et 1918, avec les Habsbourg qui en font la capitale du Saint Empire Romain Germanique. Résistant aux Turcs puis à Napoléon, la ville atteint son apogée avec François-Joseph et Sissi, entre 1848 et 1916. Intégrée au Reich en 1938 (Anschluss), Vienne devient capitale de la République d’Autriche en 1955. Elle ne cesse d’affirmer sa neutralité et sa vocation d’accueil des grands Organismes Internationaux de régulation mondiale dont les tours futuristes concurrencent la Tour-sud de Stefandom (134 m.) ou la Tour du Danube (137 m.).
Cette destinée explique l’héritage éclectique deVienne, carrefour naturel entre Baltique, Adriatique, Europe de l’Ouest et Balkans, ouvert par le Danube vers la plaine hongroise. Adossée aux collines de la Wienerwald, la ville occupe surtout la rive droite du fleuve. Le cœur de la cité, inscrit depuis 2001 au Patrimoine de l’UNESCO, est à la fois dense et hétérogène; le tour de ville en car sur le fameux Ring, aménagé sur le tracé des anciennes murailles, en donne la mesure ; bordé d’espaces verts, il relie les grands édifices publics: Opéra, Hôtel de Ville, Parlement, Université et Musées.
La visite pédestre nous conduit d’abord dans le Hofburg, Palais Impérial central, résidence d’hiver des Habsbourg. Ils l’occupent à partir de 1220… durant plus de 600 ans, aménageant encore le Neue Burg, peu avant leur chute en 1918. C’est actuellement la résidence de la Présidence de la République. Les bâtiments, austères, avec plus de 2600 pièces, se répartissent autour de Cours (In den Burg) ou de Jardins (au Neue Burg), abritant un riche patrimoine dans de multiples Palais, églises et Musées. Sissi préférait aux fastes de ces lieux la relative simplicité et l’intimité de Gödölö.
Quittant le Hofburg par un passage aux voûtes richement décorées surmonté d’une rotonde coiffée d’un dôme, on débouche sur Michaelerplatz ; Une façade du Hofburg en hémicycle, deux fontaines monumentales, quelques vestiges de Vienne antique, une longue file de calèches, la terrasse d’un café fameux : voilà le cliché typique de cette ville où s’enchevêtrent les cultures. Un peu plus loin, ce sont l’espace Am Grabe, la Colonne de la Trinité érigée à la mémoire des victimes de la peste de 1679, et en léger retrait la somptueuse église St Pierre, baroque. Stefandom (Cathédrale St Etienne), gothique et de belle facture, surprend par sa présence au cœur d’un quartier mi-baroque (façades avec moulures aux teintes pastel), mi-moderne (façade vitrée de Haas Haus) ; érigée à partir de 1137, agrandie un siècle après, elle ne conserve de l’incendie de 1258 que le Portail des Géants et les Tours des Païens. L’église gothique, édifiée entre 1304 et 1440, endommagée en 1945, brille depuis 1952 des 25.000 tuiles vernissées de sa toiture tandis que résonne à nouveau le bourdon de 22 tonnes.
Tout le cœur de Vienne vit dans une ambiance, faite de grandiloquence et de désuétude, de classicisme et de modernité, générant un certain art de vivre. Ainsi, passe-t-on sans transition de l’architecture raffinée de l’Opéra ou du Stefandom aux fameux Cafés viennois, aux boutiques de luxe de Kartner Strasse puis aux ruelles médiévales ; c’est d’ailleurs là, rue du Marché aux Poissons (Fleischmarkt), que nous avons déjeuné dans la plus ancienne auberge Griechenbeisl de Vienne (1447) dont les salles voûtées virent défiler, au cours des siècles, le Gotha de la politique et des arts.
Schönnbrunn, inscrit en 1996 au Patrimoine de l’UNESCO, fût le dernier maillon du voyage. L’Empereur Mathias avait découvert là une belle fontaine (schöner brunnen) ; il décida d’y créer une résidence d’été, devenue aujourd’hui l’un des plus grands Châteaux baroques d’Europe !
Une ambiance cacophonique règne dans la Cour d’Honneur : une multitude d’orphéons en habits traditionnels défile et répète des partitions aux accents martiaux pour une prochaine fête. Le cadre est prestigieux ; le Palais actuel, à la façade jaune-ocre, est né de la volonté de Léopold Ier d’ériger un Versailles autrichien sur les ruines de l’édifice rasé par les Turcs en 1683. La première fête y fût donnée en 1702.Chaque Empereur y mît ensuite son empreinte. En 1740, Marie-Thérèse fît redessiner le Château en style rococo. François-Joseph y mourût après y avoir passé l’essentiel de sa vie. Le nom de Schönnbrunn est inséparable de ceux de Sissi, qui y passa son enfance, et de Mozart qui, à l’âge de six ans, y donna son premier concert royal en 1762. L’édifice ne compte pas moins de 1441 pièces, les plus importantes décorées aux goûts spécifiques de leurs propriétaires du moment. Côté Parc, le même raffinement est atteint avec, en point d’orgue, la Gloriette, édifice néo-classique couronnant les pelouses fleuries des hauteurs des jardins dessinés en 1695 par J. Trehet, élève de Le Nôtre.
Un seul souhait en quittant Vienne : y revenir pour gommer la frustration d’une visite-éclair…
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La dernière soirée à bord de l’Amadeus, tout aussi conviviale que les précédentes, permît à chacun de faire un premier bilan de l’avalanche d’images et d’impressions accumulées durant la semaine et, pour certains, d’esquisser déjà des projets nourris par les lacunes de la feuille de route initiale. Un constat s’impose : le Danube est bien à la fois l’acteur, le vecteur et le témoin de dizaines de siècles d’échanges ethniques et culturels, de conflits politiques, économiques et religieux et de manifestations du génie créatif qui, en Europe Centrale, ont très souvent infléchi notre destin. Par la richesse et la densité de leurs patrimoines, les capitales se révèlent éclectiques et paradoxales ; modernisme et conservatisme y furent sans cesse confrontés aux mutations de la Société et aux vagues destructrices des invasions et des guerres. Cependant, telle l’hydre à sept têtes, les Pays se relèvent de leurs convulsions, nous offrant dans cette croisière des images fortes et chaleureuses de leur identité.
( Texte et photos de Francis DABOSI ; dessins de Pierre SENAC)