LE CEMES
50 ans de science autour de la Boule
par Jean-Pierre Launay
Professeur émérite à l’Université Paul Sabatier et à l’Institut Universitaire de France
Ancien Directeur du Centre d’Elaboration de Matériaux et d’Etudes Structurales (CEMESCNRS), Toulouse
conférence du 10 avril 2013
Une plongée vers la matière
L’observation de la matière débute par l’utilisation du microscope optique. Mais la dimension des plus petits détails que l’on peut percevoir est de l’ordre de grandeur de la longueur d’onde du rayonnement soit 400 nm pour la limite basse du domaine visible. Pour aller plus bas, il faut utiliser des rayonnements de plus courte longueur d’onde. Or depuis Louis de Broglie, 1924, on sait que (très curieusement) à une particule matérielle en mouvement, comme un électron, on peut associer une onde. Sa longueur d’onde est donnée par la formule λ= h / mv, où h est la constante de Planck, m la masse et v la vitesse. Et les électrons, ces petites particules qui transportent une charge électrique (les « grains d’électricité ») peuvent être accélérées par des champs électriques intenses, donc des hautes tensions. Un calcul simple, avec la formule plus haut, montre que pour une tension d’accélération de 300 000 Volts (300 kV), la vitesse est telle que la longueur d’onde associée tombe à 2 pm, soit un gain considérable par rapport à l’optique, mais qu’on ne peut pas exploiter en totalité (voir plus bas).
Le microscope électronique, apparu en Allemagne en 1931, est donc construit comme un microscope optique, avec des séries de lentilles pour illuminer l’objet puis fournir une image agrandie. Il y a cependant des différences technologiques. Ainsi la source de « lumière » est en haut et l’observation se fait en bas. En outre, les électrons ne pouvant se propager facilement dans l’air, tout l’appareillage est enfermé dans une colonne où règne un vide poussé.
Dans l’immédiat, signalons qu’avec cette lumière très particulière que constitue un faisceau d’électrons, on peut reproduire les expériences de l’optique classique, telles que les interférences, ou l’holographie. On côtoie ainsi quotidiennement la fameuse dualité onde-corpuscule, fondement de la mécanique quantique.
environ 1 nm, donc avant le contact proprement dit, un courant commence à passer. Il s’agit du courant tunnel, mettant en jeu l’effet du même nom. Cette dénomination vient du schéma d’énergie où l’énergie est portée en fonction de la distance : les électrons n’ayant pas assez d’énergie pour être extrait du métal et traverser l’espace vide entre les deux conducteurs, tout se passe comme si ils passaient dans un tunnel sous la colline d’énergie. Le courant tunnel étant extrêmement sensible à la distance, il constitue un indicateur très précis de la position de la pointe. Un dispositif d’asservissement électronique complète le dispositif et permet le déplacement de la pointe à altitude constante, d’où la possibilité de réaliser des images.
Ainsi le microscope à effet tunnel peut être considéré comme un « palpeur » ultrasensible, qui touche directement la surface, et dont les performances ne sont plus limitées par le problème de la longueur d’onde. En outre, à partir de 1991, il a été montré que la pointe du STM constituait un remarquable outil de fabrication, capable de tirer, pousser, donc repositionner un objet tel qu’un atome ou une molécule.
Avec ces outils performants d’observation et même d’intervention, le CEMES aborde l’étude d’une large gamme d’objets et de phénomènes.
Dislocations et plasticité des métaux
La course aux performances
Ceci revient indirectement à « voir un électron », alors que cette particule est trop petite et trop mobile pour pouvoir être localisée directement.
Enfin, par la microscopie électronique, on peut maintenant accéder à l’immatériel : par des techniques d’holographie mettant en jeu les interférences des ondes électroniques, on peut cartographier ce qui est intrinsèquement invisible, les champs électriques ou magnétiques. Ce type d’étude est précieux pour la conception de matériaux ou de dispositifs électroniques, ou de supports pour l’enregistrement magnétique.
Le renouveau de la lumière
Depuis 2007, le CEMES intègre des équipes spécialisées en spectroscopie Ramanlaser. La spectroscopie consiste à faire interagir de la lumière (issue d’un laser) avec la matière et analyser les modifications de la lumière qui en résultent, du fait par exemple de la mise en vibration des atomes de matière (effet Raman). Mais depuis quelques années, s’est développé le domaine de la «Plasmonique». Ici, ce sont les électrons à la surface d’un métal qui entrent en vibration, générant ce que l’on appelle des «plasmons» et ces oscillations se propagent pour aboutir à la ré-émission de lumière à un autre endroit. Ce phénomène est particulièrement utile pour « canaliser » la lumière, et donc l’énergie à une échelle inférieure à celle de la longueur d’onde. Ainsi, alors que les lois de l’optique interdisent de focaliser suffisamment un faisceau lumineux pour l’amener à la taille d’une molécule (la longueur d’onde d’un rayonnement visible est environ 1000 fois plus grande que la taille d’une molécule), on peut par cette méthode indirecte amener l’énergie lumineuse à un endroit déterminé en la faisant cheminer dans des sortes de guides d’onde. Ceci rappelle l’utilisation des «tubes acoustiques» sur les anciens navires.
La plasmonique est un domaine en plein essor. Par exemple, dans des chaines de nanoparticules d’or excitées à une extrémité, on peut suivre et contrôler la progression de la lumière et de la température de manière très fine, ce qui pourrait avoir des applications médicales (procédés d’hyperthermie pour détruire des tumeurs).
Façonner la matière
Façonner la matière à l’échelle du nanomètre, créer des objets individuels de taille nanométrique, tout cela est devenu possible par une association étroite de la physique et de la chimie de synthèse. Par cette dernière méthode, on élabore de grosses molécules complexes, que l’on peut aussi appeler nanoobjets, dont la forme et le comportement rappellent ceux d’objets macroscopiques. Il peut s’agir d’éléments mécaniques (roues, axes, engrenages, moteurs,…) ou électroniques (fils, diodes, éléments de mémoire, transistors,…)
A titre ludique, mais surtout pour stimuler la compétition/collaboration internationale, une course de «molécules-voitures» est organisée à partir de fin 2013. Sur une « piste » constituée par une surface d’or très propres parsemée d’obstacles atomiques, les véhicules déposés devront effectuer un trajet défini mais sans intervention directe et permanente de l’expérimentateur.
L’adressage moléculaire
Pour tirer pleinement part des possibilités de la chimie, il faut être capable d’interfacer les molécules (nano-objets) avec l’extérieur. Le défi est de communiquer avec une molécule unique, toujours la même, lui amener de l’énergie, obtenir des informations sur son comportement. Il faut pour cela élaborer des structures très fines à la surface d’un support. Ce problème est abordé au CEMES par une technologie de nanofabrication en ultra-vide. En effet, par rapport aux solutions traditionnelles mettant en jeu des salles blanches, l’ultra vide (Ultra High Vacuum, UHV) assure le meilleur contrôle possible dans la fabrication d’un objet avec une précision atomique. Mais les contraintes technologiques sont importantes : l’UltraVide est un vide très poussé (10-11 millibars – pour comparaison, à l’altitude de la station spatiale, le « vide » n’est que de 10-7 millibars-) et l’échantillon ne doit à aucun moment être en contact avec l’air sous peine de contamination.
Nous avons ainsi élaboré une sorte d’Usine en Ultra-vide constituée par une série d’enceintes et de postes de travail interconnectés.
L’ensemble, de 7 m de long, est organisé autour d’un tube central avec un chariot mobile assurant le transport entre les différents postes. On trouve ainsi un bâti d’épitaxie, une technique permettant de préparer les supports très bien définis, des ateliers de dépôts d’électrodes par métallisation, un spectromètre de masse qui permet de sublimer sélectivement des molécules triées en masse, et bien entendu des ateliers de caractérisation basés sur les techniques de champ proche (STM, mais aussi Microscope à Force Atomique, AFM).
Ce dispositif est opérationnel depuis 2 ans les premiers résultats montrent que l’on peut effectivement déposer des molécules ionisées de manière contrôlée, les caractériser et même les déplacer une à une pour créer des motifs particuliers.
Conclusion
Depuis sa création, le laboratoire de « la Boule » a ainsi profondément évolué dans le sens d’une grande diversification, mais avec toujours la préoccupation de comprendre et maitriser les phénomènes à très petite échelle. La place manque ici pour développer tous les sujets, comme la mise au point de nouveaux matériaux à base de carbone et notamment de « nanotubes », ou l’étude des propriétés extraordinaires des cristaux liquides, ces composés intermédiaires entre l’état solide et l’état liquide, ou encore la mise au point de procédés de fabrications de « nanopoudres ». En outre, de nouveaux projets apparaissent en permanence, comme celui de coupler laser et microscopie électronique, afin de combiner la résolution spatiale avec la résolution temporelle. Gageons que le CEMES va continuer à évoluer et n’a pas fini de délivrer une riche moisson de résultats.